Do you ever think of me

Fred Neil

par Damien Berdot le 25/05/2010

Note: 10.0     
Morceaux qui Tuent
The dolphins
Everybody's talkin'
That's the bag i'm in
Sweet cocaine

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Après "Bleecker & McDougal", premier album solo de Fred Neil, sorti en 1966, voici, sorti l'année suivante, "Fred Neil", tout simplement (réédité ici sous ce nouveau titre par Cherry Red, augmenté des sept morceaux qui figuraient sur "Sessions", le second disque qu'il enregistra pour Capitol).
"Fred Neil" hérite, lui aussi, de la note maximale : c'est que l'homme est le grand oublié de l'histoire de la folk music. Qu'il se soit éteint en 2001 sans qu'aucun hommage particulier ne lui ait été rendu est à mettre au passif de notre époque : trente ans auparavant, il régnait sur Greenwich Village. Quand il y arriva, il fit l'effet d'une apparition. Il chantait le blues comme les bluesmen, de sa voix chaude de baryton ; il jouait de la guitare (en particulier de la 12 cordes) mieux que personne... Bob Dylan se faisait payer en verres de vin, rien que pour avoir l'honneur de jouer de l'harmonica aux côtés du grand Fred. Son influence fut telle que toute la scène folk new-yorkaise semble, a posteriori, avoir été façonnée par lui !
 
Ce deuxième album, plus éloigné du blues que le premier, propulsé par une batterie comme dans le folk-rock, recueillant les sonorités typiques du psychédélisme naissant (sa dernière plage est un raga, un des premiers qui ait été gravé en Occident avec ceux, non publiés en leur temps, de Buffalo Springfield), révèle toute l'ouverture musicale de Fred Neil, qui disait regretter le cloisonnement entre les diverses formes de musique populaire. Son influence sur Tim Buckley est incontestable. Tim Buckley assista d'ailleurs aux séances d'enregistrement de "The dolphins". Il en sortit "obsédé par Fred Neil", aux dires de son ami Larry Beckett, et de 1966 jusqu'à sa mort il s'essaya à reprendre la chanson de Neil. Il faut dire que "The dolphins" apparaît comme hantée, avec sa guitare électrique aquatique pleine d'échos et son rythme lent, à trois temps... Lee Underwood, autre ami de Tim Buckley (dont il fut le guitariste), évoque pour sa part la "puissance émotionnelle" et "l'honnêteté" de la musique de Neil.
 
"Everybody's talkin'" est certainement, avec "The dolphins", la chanson qui attire le plus l'attention de ceux qui découvrent Fred Neil. Mais c'est bien sûr ! la chanson de la B.O. de "Midnight cowboy", qu'interprétait Harry Nilsson ! Malgré toute la sympathie que l'on peut éprouver pour Harry "Schmilsson" Nilsson, on doit reconnaître que la version de Neil est à la sienne ce que le rhum est à la limonade. Tempo plus lent, solo plus acide, voix profonde comme une caverne... Ici comme souvent, Neil chante la vérité : lassé de Los Angeles, il rêvait de retourner chez lui, dans le soleil de Floride.
 
Outre ces deux chansons, qui figurent parmi ce que le folk a à offrir de mieux, l'album renferme de très belles choses, tant et si bien qu'on est bien en peine de pointer les meilleurs titres. Peut-être sont-ce ceux où retentit l'harmonica surchauffé du regretté Alan Wilson de Canned Heat, "That's the bag i'm in" (magnifique), "Ba-de-da" et "Sweet cocaine" ? Mais "I've got a secret", reprise de la légendaire Elisabeth Cotten, est tout aussi remarquable. En règle générale, Neil s'approprie avec une inventivité étonnante les chansons d'autrui, comme par exemple "Faretheewell" : incantation amoureuse désolée et trempée de pluie, qu'on imagine chantée au bord d'une rivière du Sud...
 
Cet album aurait dû être un point de départ ; il se transforma pourtant en une forme d'épitaphe. Car Fred Neil, craignant par dessus tout les compromissions, refusa de partir en tournée, enregistra pour son album suivant, "Sessions", des jams de sept minutes et des chansons très sous-estimées ("Felicity"), auxquelles cette réédition offre une nouvelle chance, et il finit par se désintéresser des remous de l'industrie musicale, leur préférant le monde des dauphins. Bob Dylan, lui, se montra tout de même plus "conciliant"...



Pochette Originale de "Fred Neil" (Capitol 1967)
Pochette Originale de "Fred Neil" (Capitol 1967)


Pochette Originale de "Sessions" (Capitol 1968)
Pochette Originale de "Sessions" (Capitol 1968)