Move it on over

George Thorogood & the Destroyers

par Chtif le 30/09/2004

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
The sky is crying


Alors que les grands travaux de reconstruction commencent sur les ruines encore fumantes de la déferlante punk, les machines s'engouffrent dans la brèche : en 1978, le futur s'appelle new wave. Bowie s'acoquine avec Brian Eno, Kraftwerk synthétise "The man-machine", et Van Halen innove dans le domaine du moule-burnes.

George Thorogood, lui, ne change pas d'un iota. A peine un an après le succès de son premier album, conquis de haute lutte par d'infatigables tournées de club, le bluesman récidive, sans machine, ni permanente, bien sûr. La formule est exactement la même : dix titres hantés par le blues, dont une majorité de reprises au son brut de décoffrage. Celles-ci sont judicieusement choisies : heavy blues sur "Move it on over" de Hank Williams, Bo Diddley beat sur "Who do you love", ou rock'n roll sur "It wasn't me" de Chuck Berry, le gaillard sait comment s'y prendre pour faire taper du pied.

L'interprétation est fidèle mais habitée par de vieux démons. C'est encore plus flagrant quand il ralentit le tempo. Des nuages menaçants traversent ainsi de part en part "The sky is crying" d'Elmore James, et c'est toute la solitude d'un être qui gémit dans le ressac de la slide. Sans cesse il n'est question que de coeurs brisés, de malchance persistante ("So much trouble"), et de longues jambes inaccessibles que l'on suit du regard dans la rue.

Même lorsque Thorogood fait mine de jouer une bluette pour la fête annuelle d'un lycée des 50's ("I'm just your good thing"), on sent qu'il se cache un esprit fiévreux derrière la façade de chanteur romantique. Ce mec-là n'est pas net? Trop de déboires sentimentaux, trop de boisson pour oublier l'oreiller vide à ses côtés, pour tromper l'attente, à force ça détruit quelque chose.

S'attaquer à "Cocaïne blues" de Johnny Cash n'est pas anodin non plus. On n'interprète pas l'Homme en Noir avec désinvolture. Bien sûr, on peut sourire en réécoutant cette musique country aujourd'hui démodée, et s'attendre à voir débarquer Rosco de "Shérif fais-moi peur", mais se pencher sur les paroles peut filer le frisson. Quel sorte de pacte doit-on signer pour avoir le cran de chanter cette histoire d'un drogué condamné à 99 ans de taule pour avoir dessoudé sa gonzesse ("That bad bitch") un jour de défonce.

Le guitariste conclut sur un "New hawaiian boogie" aux magnifiques envolées de slide, son domaine de prédilection. Inventif et subtil, il nous surprend en couchant un lit d'harmoniques d'une simplicité désarmante au milieu de ce déluge d'accords gras au possible.

Thorogood ne prétend pas au titre d'instrumentiste le plus doué, encore moins à celui du meilleur chanteur blues, mais son jeu est attachant et bien plus profond qu'une simple succession de boogies. En rééditant ses deux premiers albums, le label Rounder offre l'occasion de redécouvrir un grand interprète (à défaut d'être un grand compositeur), sans bonus mais avec un son d'une noirceur exquise.