Le Grateful Dead restera pour
toujours un groupe à part, qui maitrisait tous les styles et passait
l'essentiel de son temps en studio et à jouer sur scène : plus de
3000 concerts de 1965, époque Haight Ashbury, Acid Test et Neil Cassady, à 1995, année où meurt Jerry Garcia son
leader fondateur, un Garcia tellement possédé de musique et dévoré
par la scène que lors des pauses de son Dead, il jouait encore, dans
des side bands (New Riders of the Purple Sage, Jerry Garcia
Band, Garcia & Merle Saunders, Old & in the Way, Howard Wales
& Garcia...). Un concert du Grateful Dead ne
ressemblait jamais à un autre. Si le morceau de départ était
annoncé, ce qui se passait ensuite relevait des astres. Une
improvisation le prolongeait, et celle-ci, à un moment ou à un
autre, grâce à la finesse technique des musiciens et à leur
entente quasi sensitive débouchait sur un autre titre du
répertoire (ou une reprise) et ainsi de suite, jusqu'au bout de la
nuit... Bob Weir, le guitariste alter-ego de Garcia, confie dans
*The long strange trip of Bob Weir", documentaire réalisé par
Netflix en 2015 pour les 50 ans du groupe, que les relations
d'improvisation sur scène entre Garcia, le bassiste Phil Lesh et
lui-même relevaient de l'extra-sensoriel et d'une quasi
télépathie. On le croit volontiers.
Cette liberté
totale, guidée par la seule jouissance de jouer et de toujours se
dépasser, jusqu'aux sommets les plus hauts, donnait des concerts à
la fois longs (cinq ou six heures parfois) mais surtout uniques. Vite
réputé pour ces happenings autant musicaux que psychédéliques (au
vrai sens du terme d'élévation spirituelle), le Dead a généré
une armée de fans, les Dead Heads, des accros dévots qui suivaient
le groupe tout au long de l'année, partout, assistaient à tous les
concerts et les enregistraient, prenant autant d'acide que leur Dieu
et développaient d'hallucinantes collections de cassettes. Des types
capables de comparer pendant des heures les versions de "St
Stephen" en 72 au Winterland à celle de 71 à Toronto...
Le
Grateful Dead - qui a toujours fonctionné comme une famille, sans
aucun souci de carrière ni de quelconque soumission à l'industrie
du disque - a toujours protégé les Dead Heads, les laissant
enregistrer et diffuser les shows en toute liberté (au grand dam de
Warner) et a plus tard crée GDP (Grateful Dead Productions), et mis à
disposition sur son site internet l'intégralité de cette incroyable
banque de données de concerts. Une Library of Congress
underground...
L'idée de célébrer par un grand documentaire
les 50 ans du groupe trottait dans la tête de Amir Bar-Lev et David
Lemieux, deux Dead Heads. Martin Scorcese a accepté de le produire
et GDP a mis à disposition l'ensemble des morceaux disponibles, de
tous les concerts enregistrés par le groupe ou par les Dead Heads,
soit environ 30.000 ! Une mine d'or à explorer, écouter,
choisir.
Ce "Long strange trip", que publie Rhino.
est la bande-son musicale du documentaire, plus de 150 minutes de
musique en 19 morceaux. On est un peu déçu par le relatif
petit nombre de trésors cachés sortis des malles, car onze des
dix-neuf morceaux étaient déjà disponibles : les titres des LP
studio : "Uncle John's band" et "Easy wind"
("Workingman's dead" Warner 1970), "Candyman" et
Brokedown palace" ("American beauty" Warner 1970) et
"Touch of grey" ("In the dark" Arista 1987), les
titres live "St Stephen" ("Live Dead" Warner
1969), "Morning dew" ("Europe 72" Warner 1972),
la fantastique version de "He's gone" ("Sunshine
daydream" GDP 2013), "Scarlet begonia"/"Fire in
the mountain" ("Cornell 77" GDP 2017), "The music
never stopped" ("One from the vault" GDP 1991). Cependant, "Sunshine daydream" et "Cornell 77", deux concerts mythiques du Dead, sont toujours les bienvenus.
Les
vrais inédits sont une surprenante reprise de "Hey Jude" des Beatles enchaînée à "Dear Mr
Fantasy" de Traffic (elle déjà faite), une version de "Dark star"
de 1970 à New York (Fillmore), et surtout, deux titres du fameux concert improvisé à Hérouville en 1971 dans les jardins du
Château du compositeur Michel Magne ("China cat sunflower" et "I know your rider"). Le Grateful Dead était à l'origine pour la première fois en France comme tête d'affiche du festival
d'Auvers sur Oise du couturier Jean Bouquin, un festival ayant très vite viré au désastre. S'emmerdant au château, le Dead a souhaité donner un concert, notamment pour tous les freaks qui avaient fait la route pour rien, et Patrice Blanc-Francart les filma bien sûr pour Pop 2 (à voir ci-dessous).
GRATEFUL DEAD (Live at Hérouville - Pop 2 Juin 1971)