Lyceum Theatre London England - 5/26/72

Grateful Dead

par Francois Branchon le 16/11/2022

Note: 9.0     

Lorsque le Grateful Dead quitte la Californie pour sa première tournée européenne le 1er avril 1972, ce sont près de cinquante personnes - le verso de la pochette de "Aoxomoxoa" - qui embarquent. Une communauté hippie en roue libre, la raison d'être du Dead. Avec au cœur du cirque itinérant, Betty Cantor, la chargée du "son", qui a pour mission d'enregistrer l'intégralité de tous les concerts sur seize pistes. La publication d'un disque live est en effet prévue et nécessaire pour compenser les énormes dépenses du voyage.1972 date charnière pour Grateful Dead. C'est la dernière tournée avec Pigpen, malade, dont la voix grave et soul équilibrent les visions cosmiques de Garcia, Weir et Lesh, et la première avec le claviériste Keith Godchaux et sa femme choriste Donna, dont certains pensent que cet ajout est une boursouflure contre nature. Surtout, le groupe n'a pas sorti de disque original depuis 1970 ("American beauty"), une éternité pour un groupe hyper prolifique. Une raison d'espérer que l'album à paraitre tiendra plus de la nouveauté que du simple album live.

"Europe '72" parait en décembre 72, un triple album de dix-sept titres distillant des moments forts des concerts de Londres, Paris, Amsterdam et Copenhague. Et on n'est pas déçus. Très peu de reprises en effet de morceaux anciens, une majorité écrasante de titres neufs, et pas des moindres, Garcia et Weir n'ayant pas chômé : "Tennessee Jed ", "Brown eyed women", "Ramble on rose", "He's gone", "Mr Charlie","Jack Straw" autant de chansons, généralement longues, associant country, folk et blues aux improvisations mercurielles de Garcia, autant de merveilles de finesse, aux arrangements soignés, fins et aériens. Il paraitrait qu'il fallut quelques surimpressions vocales, les bandes ayant montré que Garcia avait chanté faux pendant une grande partie de la tournée. Nonobstant, les chansons de "Europe '72" sont quasiment toutes devenues aujourd'hui des classiques.

Une parenthèse sur les rééditions : le Grateful Dead est au coeur d'une tribu mondiale d'afficionados prêts à tout, surtout à débourser, pour des publications, rééditions, rééditions de rééditions, ce qui pour un groupe qui donnait (du temps de Garcia) quelque trois cents concerts par an offre de réelles opportunités de se ruiner. Aujourd'hui, trois rééditions marquent le 50e anniversaire de "Europe 72" : l'original remasterisé en double Cd et triple Lp, le dernier des quatre concerts de la tournée au Lyceum de Londres en intégralité dans un coffret de quatre Cd (objet de la présente chronique) ainsi qu'un coffret de vingt-quatre Lp avec l'intégralité des quatre concerts consécutifs au Lyceum, chacun avec une setlist légèrement différente. Vous suivez ? Le Dead avait fait plus fort encore pour les quarante ans en 2012, avec "Europe '72 : The complete recordings", un coffret de soixante-treize Cd (73 !!) avec l'intégralité des vingt-deux concerts.

Dans ce coffret "Lyceum 72" de quatre Cd, on peut découvrir les morceaux qui n'avaient pas été retenus pour le triple Lp originel : "Chinatown shuffle", "The stranger", mettant tous deux en valeur le chant mélancolique de Pigpen. On entend aussi des chansons issues de disques solos, "Sugaree" de Jerry Garcia (Lp "Garcia" 1972) et "Black-throated wind" de Bob Weir (Lp "Ace" 1972) ainsi que des reprises jamais enregistrées auparavant : "It hurts me too" d'Elmore James, "You win again" de Hank Williams, "The promised land" de Chuck Berry et "Sing me back home" de Merle Haggard, en prenant bien entendu le mot reprise au sens Gratefuldeadien du terme, transmutée comme il se doit. Et comme on s'y attendait, peu de chansons de précédents albums, à part "Cumberland blues", "Sugar magnolia", un "China cat sunflower" hypnotique, le boogie brûlant de "Dire wolf", un "Truckin'" de treize minutes, ainsi qu'une reprise tout aussi longue et magnifique de "Morning dew".

Aujourd'hui, à posteriori, "Europe '72" combine country ("You win again"), blues ("It hurts me too"), improvisation épique et lysergique ("Dark star" en vaisseau amiral), folk traditionnel ("I know you rider"), guitare serpentine de Garcia, chansons de vagabonds (le shuffle de "Tennessee Jed") ou de hors-la-loi (la merveilleuse ballade "Jack Straw"), ravissement mélodique et psychédélique ("Sugar magnolia"), excursions jazzy ("Playing in the band") et mythe propre au Dead ("Truckin'"). Ce Dead-là donne naissance à l'un des rock'n'roll les plus organiques, les plus riches et les plus libres jamais réalisés. Le Grateful Dead de 1972 est finalement un pur groupe d'Americana.



GRATEFUL DEAD It hurts me too (Live at LOndon Lyceum 1972)


GRATEFUL DEAD Ramble on rose (Live at London Lyceum 1972)



GRATEFUL DEAD Morning dew (Live at London Lyceum 1972)