Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s'émouvoir

Hubert-Félix Thiéfaine

par Thomas D. Lavorel le 06/02/2011

Note: 7.0    
Morceaux qui Tuent
La fin du Saint-Empire romain germanique
La dèche le twist et le reste
Le chant du fou


"Liberté Liberté Li-ber-té
Ah ben ouais quoi"


On dit d'un artiste que ses premières œuvres sont chefs d'œuvres, ce qui suit étant tentatives pour recommencer, recréer, faire aussi bien que l'original. C'est comme s'il y avait quelque chose d'instinctif qui s'y déversait, nu et sans fioritures, et qu'ensuite, ce serait toujours le même instinct, mais contenu, contraint, ou cultivé, qui rechercherait sa désinvolture première. Mais, puisqu'il cherche, il ne trouve pas forcément. On dit ceci des artistes, on dit cela de Thiéfaine : pour la plupart des afficionados, ce premier opus de la longue litanie orphique demeure ce que le Jurassien fit de mieux.

Ce n'est pas tout à fait vrai. ''Tout corps vivant...'' n'est pas le meilleur de Thiéfaine, mais il contient en puissance le devenir et la trajectoire de l'œuvre, dans une empreinte de légèreté qui sera par la suite laborieux de retrouver (mais nous verrons cela en temps voulu) ; l'esprit Thiéfaine, touché des fibres de cordes vocales, replié sur le germe, tout en soupçons, résonne et frisonne les problème de l'homme, qui sont des problèmes de mélancolie, comme disait le vieux Léo. Il y a aussi, dans ce premier album, des fragments de révolte. Années 70 obligent, nous sommes en plein reflux de Mai 68, et Thiéfaine est dans la vague, avec comme volonté de s'y mouvoir en bouffon, certes, mais en bouffon tragique (''Le chant du fou''), qui lance son rire glaçant à la face de la somme dérisoire que représentent ces années-là (''22 Mai''). Thiéfaine ne s'éprend du pathos politique seulement dans la mesure où celui-ci alimente les passions tristes de l'homme, et sa grande force, c'est de s'éprendre en bouffon (''La fin du Saint-Empire romain-germanique), cependant que le fou chante " La dèche le twist et le reste" ("Moi je bricole et je fabrique des chansons qui sont invendables").

Pour conclure ce premier chapitre, on dira que cet album s'inscrit dans l'ère de son temps, un temps français, et c'est bien là que l'esprit Thiéfaine s'enracine, qu'il s'inscrit, mais comme en négatif, à revers, sur l'autre face, la "face nord", celle qui reste à l'ombre le plus longtemps, celle qui reste glacée quand on amorce la descente.