Grand lièvre

Jean Louis Murat

par Jérôme Florio le 28/10/2011

Note: 7.5    

Revenu des grands espaces américains où hurlent les coyotes ("Le cours ordinaire des choses", 2009), "Grand lièvre" signe le retour au bercail de Jean-Louis Murat et assure en même temps sa métronomique livraison quasi-annuelle : l'Auvergnat a eu cette fois envie d'une musique assez chaude – guitare douze cordes, basse, batterie et orgue – sur laquelle il se prélasse à la manière d'un gros matou séducteur plus que comme un chaud lapin.

Murat laisse la provoc' à ses prises de paroles, souvent jouissives, dans la presse. Sur ses disques, c'est toujours du beau travail soigné, exigeant envers lui-même (bien que le Jean-Louis sache faire dans la grosse déconnade, voir Les Rancheros). Les premières mesures de "Qu'est-ce que ça veut dire" posent un groove charnu, avec la basse ronde du fidèle Fred Jimenez. Murat semble avoir intégré l'état d'esprit laid-back de la musique Us : ce titre en est un bon exemple. Sur cette trame, l'Auvergnat aborde des thèmes variés qui vont de la famille, la guerre ("Rémi est mort ainsi"), l'enracinement ("Haut Arverne") et son contraire l'exode rural ("Vendre les prés", qui aurait pu servir de bande-son à la trilogie documentaire de Raymon Depardon sur les paysans). Murat sait éviter l'écueil de la "chanson à thème" et garde de la hauteur grâce au style de ses textes. "Alexandrie", comme "Qu'est-ce que ça veut dire", s'étirent un peu longuement, et de manière plus générale, le chant chamallow renforce une sensation de monochromie. "Vendre les près" sonne même un peu jazzy cheap, mais ce n'est pas la première fois (on peut remonter jusqu'au synthétique "Cheyenne autumn", 1989). "Je voudrais me perdre de vue" est un titre programmatique qui résume le propos de la chanson, dont l'écoute s'avère du coup presque superflue. Jean-Louis Murat a coupé dans le vif de ses textes, ce qui donne parfois l'impression d'une accumulation d'images cinglantes à travers desquelles on a un peu de mal à se frayer un chemin ; mais on peut aussi se laisser simplement porter par le côté tout bonnement agréable de l'ensemble.

Accentuons notre attention sur les temps forts : la rythmique conquérante et la couleur rouge sang de "Sans pitié pour le cheval" dans laquelle Murat se retrouve dans la peau d'un troufion (en un seul mot !) pris sous le feu de l'une des batailles de la Marne lors de la première guerre mondiale. En bon grimpeur, Jean-Louis produit l'effort dans l'ascension finale : "Le champion espagnol" (Federico Bahamontès ? Miguel Indurain ?) avec ses notes de douze cordes carillonnante puis "Les rouges souliers" au gimmick de guitare acide et efficace, dégageant un lointain parfum de western. Une énième variation sur l'amour, sujet inépuisable pour le chanteur.

Avec "Grand lièvre", Jean-Louis Murat reste à la fois à côté en au-dedans du peloton de tête de la chanson française, toujours dans les échappées au panache et sans un regard pour les suiveurs.



JEAN-LOUIS MURAT Sans pitié pour le cheval (Live Le Figaro 2011)