L'art de la fugue

La Maison Tellier

par Jérôme Florio le 20/03/2010

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Five years blues
Suite royale
No name n°3
L'art de la fugue


"L'art de la fugue", c'est la fuite plein ouest, vers les espaces américains et leur galerie de personnages borderline. La Maison Tellier déménage de Rouen et s'installe à Las Vegas, "cité du vice" : cette maison-là a beau être un bordel (beau film de Max Ophüls adaptant Maupassant), il faudra nous en déloger manu militari.

Les personnages des chansons de La Maison Tellier sont en cavale, sous la coupe de différentes addictions : l'amour, la drogue ("Mexico City blues"), le goût du risque, la criminalité ("Baboin")... et le jeu ("Suite royale"). Pourtant il n'est pas question ici de hasard : La Maison Tellier est sûre de ses atouts. Même pas la peine de bluffer : treize cartes en mains, pas une seule à jeter, au moins trois as.
Une "Suite royale", c'est tout bon au poker : un titre qui a un gros potentiel de tube, avec son beau parfum d'americana, toutes guitares et trompettes dehors dans une virée un peu barge. "La peste" - fléau européen – est un mariage parfait entre la langue d'ici et le folk-rock de là-bas (au moins aussi bien que les disques de Jean-Louis Murat faits à Tucson ou Nashville) : l'union est célébrée "par un prêtre en costume d'Elvis". "L'art de la fugue" est un "boom-tchika-boom" de chez nous, servi encore une fois par un chant tendu, des riffs de guitare patinées, et encore une fois de belles trompettes : La Maison Tellier aime Love, cela s'entend aussi au milieu de "Laissez venir" avec un intermède acoustique réminiscent de "Alone again or". "Laissez venir" fait bien monter la sauce, avec une manière très chanson française classique de placer la voix. Raoul Tellier mêle naturellement couplets en français et refrains en anglais, dépositaire décomplexé d'une double culture nationale et musicale. "Mount forever" est quasi-psychédélique, très simple avec un riff obsessif de guitare acoustique et des choeurs comme un écho dans les montagnes : des harmonies vocales flottantes comme celles de Crosby Stills & Nash, et on se contrefiche de la prononciation pas copie conforme. "Please do" nous ramène vers un folk qui aime les variations de tension, plus de notre époque, comme celui de Bright Eyes (Conor Oberst) par exemple. Au deux tiers du parcours, une main un peu moins chanceuse ("Goldmine" / "Josh the preacher" / "Mexico City blues") n'empêche pas le groupe de rafler la mise.

Depuis quand n'a-t-on pas entendu un chanteur hurler aussi bien le blues ("Five years blues") ? Bertrand Cantat ? En voilà un titre qui a la grosse classe, chanté en anglais, avec toujours de belles guitares et trompettes (une véritable constante). La Maison Tellier se paye le luxe de tuer à la fois le père (Noir Désir)... et le loup (Tue-Loup, groupe de Xavier Plumas) : d'ailleurs au rayon bestiaire, "Baboin" pourrait faire écho au récent "Cri du cougouar" solo de Plumas. Dans le texte, qui évoque un ami d'enfance qui a mal tourné, on est plus du côté de Papillon (Steve Mc Queen) : à la différence de ce dernier, l'évasion finale se fait en douceur sur un "No name #3" admirablement fragile et posé.



LA MAISON TELLIER Suite Royale (Clip 2010)