Ecstasy

Lou Reed

par Francois Branchon le 24/04/2000

Note: 8.0    

De qui Lou Reed se fout-il lorsqu'il pose ingénument la question "suis-je vraiment fait pour la vie citadine?". Aussi incongru de la part du géniteur du groupe rock urbain emblématique (de la ville et de ses bas-fonds) que d'essayer de prétendre qu'un cactus n'a rien à attendre d'un désert ou que le produit Jean-Pierre Pernaut ne symbolise pas un néo-pétainisme rampant inquiétant. A part ces digressions sémantiques (Oncle Lou prend de l'âge...), "Ecstasy", son premier album en studio depuis 1996, étale une sensibilité tout azimut, le plus souvent haut de gamme. Ce "Rock minuet" par exemple, assurément le morceau le plus surprenant et étrange de cet album. Une (nouvelle) ballade dans l'underground sexuel, avec des guitares angulaires et aériennes pour une composition proche des chansons de Brecht et Weill, mais comme si on avait connu les pédales fuzz sur les scènes berlinoises des années trente ! En ouverture, "Paranoia key of E" et son intro qui parodie le "Honey don't" de Carl Perkins sur un mode mi-parlé, mi-rappé, fait se cogner une guitare funk-blues et une basse vrombissante sur des accords made in Lou (modèle déposé jadis sur "Waiting for my man"). "Ecstasy" et son groove pseudo latino se réfère plus au sentiment qu'à la pilule, "Future farmers of America" est la note excentrique de l'affaire, "Tatters" est le polaroïd d'une rupture sentimentale (belle guitare blues et cuivres très Memphis), "Mad" explore les suites déplaisantes de l'infidélité, "White prism" est une relecture de "Release me", "Baton Rouge" affiche une petite nostalgie douce-amère pour une romance d'adolescence fantasmée et "Turning time around" saisit la façon dont la perception du temps change lorsqu'on est amoureux... Et puis se dresse au beau milieu du chemin l'imposant "Like a possum". Une pièce de choix, un exutoire dans lequel Oncle Lou s'épanche, "j'ai dans le cœur un trou de la taille d'un camion", pour en rajouter immédiatement une couche, "mais des nuits entières de baise ne suffiraient pas pour le combler" ! Agonie de la solitude, exaltation du désespoir, Lou Reed ne craint pas le pathos et sa confession tourne parfois au risible, surtout lorsqu'on franchit le quart d'heure. Le morceau fait en effet ses dix-huit minutes bon poids quand une petite dizaine auraient largement suffi... Seulement Lou Reed a acquis le statut envié "d'institution", comme Dylan ou Cohen. Ses albums n'ont plus à convaincre et il n'a plus à séduire quiconque, un public fidèle suffisant à faire tourner la boutique. Si vous êtes un client, vous ne serez pas déçu. Si vous avez poussé la porte par hasard, sachez qu'il y a ici quelques titres d'un futur best of mais que ce n'est forcément pas la meilleure façon de faire la connaissance du patron.