Snowbeast

Luke Temple

par Jérôme Florio le 20/02/2008

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Darkness
Saturday people
People do
Medicine


"Snowbeast" va déjouer les attentes de ceux qui attendent en Luke Temple le nouveau héros d'un folk ouvragé, sensible et classique – à la Elliott Smith, ou Simon & Garfunkel. Tomberont par contre sous le charme les auditeurs qui goûtent une qualité bien peu répandue : la fantaisie.

Plusieurs indices auraient dû nous mettre la puce à l'oreille. Tout d'abord l'écriture agile, et surtout ludique (on s'en rend compte maintenant), que Temple développait sur "Hold a match for a gasoline world" (2006): un éclatement stylistique qui pouvait se confondre à tort avec un défaut de maturité. Ensuite, un concert (La Maroquinerie, Paris) dans lequel il s'est piqué de ne jouer que des inédits ! Luke Temple est un cas à part, un drôle d'oiseau qui papillonne et rend léger tout ce qu'il touche – à savoir ici un disque enregistré et produit par lui seul dans son appart de Brooklyn, avec le renfort de quelques amis musiciens (un peu la démarche d'Emil Svanängen de Loney, Dear). Le "Pro-Tools shit" (un logiciel de production très répandu dans l'industrie, responsable d'un son uniformisé), très peu pour lui.

"Snowbeast" n'est absolument pas gravé dans le marbre de la perfection, mais il est truffé de petits tours de magie. L'ouverture "Saturday people" est une chanson à tiroirs et sauts temporels : intro médiévale, courte partie instrumentale à la "Pet sounds" (Beach Boys), puis plat de résistance avec claviers en vrille, chœurs et banjo, et enfin boucle de fin groovy... N'importe quoi, et pourtant ça tient debout - la faute au talent. Après un "Serious" bricolé et minimalement électro, "The owl song" enfonce le clou, de plus en plus incongru avec sa basse dodelinante et ses sons de synthé cheap. Temple y fredonne le chant du hibou, "Hou hou hou hou" ! A ce stade, on est carrément dans les choux. "People do" ramène en terrain connu, impeccable bijou de folk-blues acoustique, avec toujours cette voix fragile et mélodieuse - il faudra attendre la toute fin du disque pour retrouver un titre fait du même bois ("Medicine"). Luke fait ensuite joujou : "Time rolls a hill", "Where is away", "Family vacation" sautillent comme des poux, s'éparpillent en croquis bizarroïdes ou humoristiques. La guitare et le banjo sont au fond du mix, supplantés par les rythmiques (minimales, ou percussives comme au carnaval). Temple mène les chansons imperturbablement à bon port. L'épuisement guette, mais "Dinner party" (concerto de verres, banjo et chœurs d'une grâce unique) sert de courte transition vers la merveilleuse dernière partie du disque. On pense presque à Prince pour le falsetto d'un "Conqueror" à l'ampleur de péplum. "Darkness" commence dans le noir, vire électro chaloupée pendant quelques secondes, et laisse finalement à genoux après une escalade mélodique, bercés par un piano, une guitare et un melodica...

Luke Temple est un petit prince folk, capable de semer des miracles de chansons comme autant de petits cailloux : on prend un grand plaisir à le suivre dans son univers singulier et follement attachant.


LUKE TEMPLE How could i lie (Live Maroquinerie 2008)