Minneapolis (par Nicolas Bremaud)

Michel Portal

par Nicolas Bremaud le 04/02/2001

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
Judy Garland
Cinco de la tarde


Que faut-il penser de ce disque, accompagné de polémiques interminables, annoncé avec tant de fracas qu'il en devenait inaudible ? Il semble que ce soit là une question aussi grave et décisive pour l'amateur de jazz, que l'est le choix du bulletin de vote pour le citoyen perplexe. Opportuniste, imposteur, business man, Don Juan des clarinettes, dandy saxophoniste, génial funambule, produit marketing : que faut-il penser de Michel Portal ? "Minneapolis" met le clarinettiste aux prises avec une ex-rythmique de Prince, constituée de Sonny Thompson et Michael Bland, Tony Hymas aux claviers et le guitariste Vernon Reid sur quelques titres. L'idée, qui germa certainement dans la tête du producteur, parut saugrenue : comment Portal, "classiqueux" pour certains, chantre du free pour d'autres, allait-il trouver sa place aux cotés de ces monstres de groove ! ? N'allait-il pas, pauvre blanc chétif, se trouver écrasé par l'impressionnante corpulence de ses nouveaux copains ? C'est donc avec beaucoup de curiosité que j' introduisis "Minneapolis" dans le lecteur. Michel Portal commence par tendre un gros bâton pour le battre avec "M.P on the run". Sonny Thompson, sur une tournerie d'une invraisemblable banalité, s'y livre à un rap consternant : "Michel's just a friend of mine", "Play your horn Micheeeel", et le reste à l'avenant. Saisi d'effroi, on se demande ce que peux signifier un tel égarement. Complexe du jazzman blanc, classé au rayon "intellos", en quête de reconnaissance par les noirs américains du rayon "pop" ? Laissons la question en suspens et ne saisissons pas le bâton tendu car le disque s'avère être une grande réussite. Les compositions, toutes de Portal, à l'exception de l'enivrant "Matourmatourmatourmalet" de Tony Hymas et du "goodbye pork pie hat" de Mingus, à peine chuchoté par la clarinette basse, ont chacune leur identité, leur sentiment propre, qui les distingue de la production parfois uniforme de nombreux "véritables" jazzmen. Ainsi, le fabuleux "Judy Garland", est une basse obstinée dont la mécanique, accentuée par le staccato du piano et de la basse, entraîne dans une étrange mélancolie. "Sky tinted water", doit son climat singulier à une rythmique mystérieusement trouée de silences. "On Nicollet avenue" est un funk allègre et ludique que viennent inquiéter de sombres harmonies. On est bien loin de l'indigence du précédent album de Portal, le soporifique "Burundi". Tout est ici travaillé avec soin et attention : matières sonores, mouvements rythmiques, mélodies pas forcément évidentes mais toujours séduisantes. Ce disque doit aussi sa réussite aux excellents musiciens dont Portal s'est entouré (a été entouré ? peu importe !) : le tandem Sonny Thompson/Michael Bland n'est pas seulement "efficace", il s'avère aussi très stimulant. Michael Bland est particulièrement inventif dans "The dread scott marker" mais tout au long de l'album, sa capacité à "bancaliser" les métriques les plus binaires, à commettre l'impair là où on ne l'attend pas, force l'admiration. Portal semble d'ailleurs très inspiré par cette compagnie et s'affirme en immense styliste de la clarinette basse : beauté et expressivité du son, virtuosité et lyrisme coupent court à toute critique. En définitive, on se surprend à souhaiter (sans y croire !) que ce groupe improbable, devienne plus qu'une rencontre éphémère à but lucratif, et continue à travailler.