Leave your sleep

Natalie Merchant

par Jérôme Florio le 19/05/2010

Note: 8.0    

Ce nouveau disque vient mettre le terme à une absence de sept ans depuis "The house carpenter's daughter" (2003), collection de chansons traditionnelles du répertoire country-folk que Natalie Merchant parvenait superbement à incarner – des histoires de luttes, de travail, d'amour... d'un autre temps. L'ambitieux double-album "Leave your sleep" approfondit cette démarche : des textes des 19e et 20e siècles qu'elle a mis en musique avec le concours d'une pléthore de musiciens, dans des styles variés scannant toute l'histoire de la musique populaire américaine.

Sept ans : Bush Jr., la guerre en Irak, Katrina, Obama... on sait que Natalie Merchant est attentive à la politique et la société de son pays, qui lui ont autrefois inspiré des chansons et des prises de position avec son groupe 10000 Maniacs. On se souvient aussi de "This house is on fire" (sur "Motherland", 2002) qui résonnait de manière troublante avec l'actualité car enregistrée juste avant l'attentat des Twin Towers. Par la suite, le retour aux sources de "The house carpenter's daughter" pouvait passer comme le manifeste d'une dignité à retrouver dans le contexte de la présidence de George Walker Bush, la manifestation de la conscience de la "vraie Amérique" : Natalie Merchant parvenait alors, à sa manière douce et maternelle, à incarner un pays (voir aussi la belle chanson "Motherland"). On espérait un peu la voir revenir avec un disque en prise avec son temps.

"Leave your sleep" : cela peut se lire comme un appel au réveil civique, mais aussi comme une invitation aux défunts à quitter leur tombe. Natalie Merchant se fait l'interprète – le médium ? – de ces derniers, en mettant en musique des textes (poèmes, comptines...) d'anonymes et surtout d'écrivains reconnus (E.E. Cummings, Robert Louis Stevenson, Christina Rossetti, Eleanor Farjeon...) : elle rend ainsi hommage à la culture américaine et s'installe du même coup sur le podium, au-dessus des débats du jour. Foncièrement démocratique, elle a composé dans des styles très variés en laissant le talent des musiciens s'exprimer : jazz Nouvelle-Orléans avec le Wynton Marsalis Orchestra (“Bleezer’s ice cream”, “The janitor’s boy”) ou jazz arty avec Medeski, Martin & Wood (“It makes a change”) ; folk des Appalaches (“If no one ever marries me”), folk Yiddish avec les Klezmatics (“Dancing bear”) ; amples arrangements orchestraux ("Spring and fall: to a young child”, "Land of Nod") ou intimité avec un quatuor à cordes (“Indian names”)...

Tout était réuni pour faire crouler le disque sous son propre poids ou le transformer en usine à gaz : Natalie Merchant, plus que bien servie par sa voix traitée avec les plus grands égards, fait tout passer en douceur et avec une inspiration d'une constance remarquable. En effet, pas une seule faute de goût sur aucun des vingt-six titres – on est ici entre gentlemen musiciens. Merchant prouve qu'elle sait fédérer autour d'elle, et montre des qualités de leadership incontestables : artiste intègre, elle a financé elle-même ce projet au mépris de la frilosité du marché du disque. Sa réussite la fait accéder à un statut d'icône folk, immensément respectable... mais un peu plus loin de nous. Sur "Leave your sleep", les enfants s'appellent "Millie and Maggie and Molly and May" (très touchante chanson, sur un poème de E.E. Cummings de 1966)... on se demande s'il y en a encore beaucoup des comme cela aux U.s... "Leave your sleep" est fort beau, confortable et très bien réalisé, mais il ne nous parle pas de l'Amérique d'aujourd'hui. Où est la chanson sur Katrina (l'ouragan qui a dévasté la Nouvelle-Orléans en 2005) ? Seul quelqu'un comme Natalie Merchant pouvait la sortir. Ce n'est en aucun cas un reproche, tout au plus le regret que ce disque de Natalie Merchant ne nous accompagne pas davantage dans ce monde.



NATALIE MERCHANT Equestrienne (Clip 2010)



NATALIE MERCHANT The man in the wilderness (Live St Augutine Church, Londres, 2010)