The house carpenter's daughter

Natalie Merchant

par Jérôme Florio le 14/11/2004

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Diver boy
Weeping pilgrim
House carpenter


Avec son quatrième disque en solo, Natalie Merchant plonge avec passion dans ses racines folk, et par-delà dans celles de l'Amérique toute entière. Une démarche artistique autant que politique que n'a de cesse d'approfondir cette artiste de Jamestown, état de New-York, qui en 1981 fonde à dix-sept ans les 10,000 Maniacs. Son groupe connaîtra un succès non démenti jusqu'à "Unplugged" en 1993, après lequel elle décide de mener une carrière solo. Ces années au sein des Maniacs lui ont permis de perfectionner sa voix, aujourd'hui l'une des plus belles de la pop, chaude et vibrante, l'équivalent d'une Sandy Denny (Fairport Convention) sans les grains de sable. Les disques des Maniacs reflètaient aussi en temps réel la construction d'une éthique solide : Natalie Merchant abordait peu à peu dans ses chansons, et avec beaucoup de délicatesse, des sujets comme l'analphabétisme, les enfants maltraités, les sans-abris. Elle remettait ainsi au goût du jour une forme de "protest-songs", mais à l'intérieur d'un groupe pop : une conscience sociale passée de mode dans ces années 80 cyniques (rappelez-vous le clip à gerber d'"Another day in paradise" de Phil Collins, par exemple). Et au fond, cela a-t-il vraiment changé ?

"The house carpenter's daughter" est un beau disque de "folk-music" au sens originel du terme : la musique des gens, ceux du début du siècle ou même d'avant. Natalie Merchant retrouve la démarche suivie par les anglais de Fairport Convention en 1969 sur "Liege & lief" (dont elle reprend ici "Crazy man Michael", composé par Dave Swarbrick et Richard Thompson) : réinterpéter des chansons du patrimoine pour redonner un sens au présent. Mais l'époque est foncièrement différente, et la démarche de Merchant semble au moins autant artistique qu'engagée. Ces chansons viennent d'un monde désormais disparu, rural, dans lequel les hommes étaient en rapport plus étroit avec la terre. Elles accompagnent tous les aspects de la vie, des plus durs aux plus triviaux. On y fait chanter les enfants ("Soldier, soldier"), on va à l'église : la recueillie "Weeping pilgrim" est un chant protestant du 18e siècle à la poignante simplicité. Les histoires d'amour étaient teintées d'une extraordinaire puissance tragique ("House carpenter") - la tendue et orageuse "Diver boy" ferait passer toutes les "Murder ballads" de Nick Cave pour des romans à l'eau de rose. On y travaille aussi, "Owensboro" relate la vie des pionniers qui ont dû migrer des montagnes vers les villes industrielles. Un rappel à l'Amérique qu'elle est faite de tous ces êtres de chair et de sang, qui ont été parfois durement ballotés par le destin. Une histoire émaillée de luttes, "Which side are you on ?" témoigne de la fronde syndicale menée par les mineurs de Harlan County en 1932 et effroyablement réprimée.

Les choix musicaux sont à l'avenant, respectueux des traditions (un titre de l'historique Carter Family, "Bury me under the weeping willow", ou la brillante jam de "Down on Penny's farm") mais pouvant aussi montrer une tension plus proche du rock : banjo, fiddle (violon country), accordéon, guitares électriques et lap steel. Natalie Merchant nous fait sentir parents lointains de tous ces gens qui ont vécu, aimé, travaillé, éduqué leurs enfants avant nous, et dont l'ombre bienveillante plane sur le disque. Loin d'être un travail d'antiquaire, "The house carpenter's daughter" parle de sentiments éternels et universels.