Learning

Perfume Genius

par Jérôme Florio le 03/09/2010

Note: 8.5    

Une couche de givre sur un coeur qui saigne. "Learning"... apprendre quoi, au juste ? A vivre avec quelle douleur ? Ou juste le métier d'adulte ? Mike Hadreas, à peine 26 ans, a composé et enregistré depuis chez sa maman (cela s'entend !) des chansons aux arpèges de piano accessibles au premier venu – mais habités par une personnalité inversement forte.

Hadreas éviscère délicatement ses chansons dans la plus stricte intimité, où nous sommes entraînés de force : il semble se débarrasser sans pudeur d'une peau trop encombrante, déjà marquée par la vie. Disque à poil, sans défense, "Learning" élève ses chansons au niveau de prières dénudées à l'impact émotionnel rarement entendu depuis Low ou Cat Power (celle de "The covers record", 2000) ; et plus qu'aux trop précieux Antony & The Johnsons, on pense étrangement à Arcade Fire et leur "Funeral" (2005), pour l'esprit uniquement, et dans un registre beaucoup plus rentré.

Avec son falsetto timide et très naturel, Mike Hadreas assure des harmonies vocales qui brouillent les frontières entre les genres – c'est à s'y méprendre, un genre de Norman Bates pop !... Il est question de perte (le suicide de "Mr. Peterson"), d'incertitude existentielle ("You won't B here") ou sexuelle ("Gay angels") : le contraste est saisissant entre la charge émotionnelle et la légèreté des moyens mis en oeuvre. Disque très concis, "Learning", maintient de bout en bout un équilibre fragile entre beauté et malaise. Sur quelques photos, Hadreas arbore un visage tuméfié, comme s'il livrait son corps en pâture, dans un geste assez déstabilisant : sa musique est ainsi, hésitante et pleine de volonté, prête au sacrifice. Le chaos est parfois au bout de la route ("Perry"), et Mike Hadreas semble chercher sa route à tâtons dans un terrain aux synthés vagues ("No problem" et "Gay angels", façon "Twin Peaks" de Angelo Badalamenti).

A la fois un peu mortifère et bien vivant, "Learning" entête comme un parfum trop lourd : on redouble avec énergie les maigres applaudissements entendus à la fin de "Never did".



PERFUME GENIUS You won't B here (Clip 2010)