Black market music

Placebo

par Christian Tranchier le 18/11/2000

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
Special K
Haemoglobin


Quoi de neuf sous le rimmel de Placebo ? Toujours des titres gentiment provocateurs, "Taste in men" (l'ambiguïté sexuelle banalement au rendez-vous), "Special K" (aucun rapport avec les céréales !), "Peeping Tom"... Toujours ces guitares incisives, saturées, noisy, aux rythmes soutenus et étouffants. Toujours cette batterie en roue libre, sans frein, assénant une cadence infernale. Toujours cette urgence brute et désespérée, cette fureur de vivre. Toujours cette voix si particulière du charismatique Brian Molko, aigüe, nasillarde, fouettant et miaulant de ses cordes félines, une interprétation sur le fil du rasoir. Bref, une réunion familière de ce saint triolisme éternel du rock : guitare, basse, batterie. Trois accords et des variations à l'infini pour composer les chansons les plus hargneuses, accrocheuses et émouvantes possibles. Cette trinité monolithique, le groupe n'en finit pas de la décliner, de l'explorer et de l'exploiter dans ses moindres recoins. Pour atteindre des sommets. Petits moyens pour grands effets, en somme. Voilà pourquoi, ce troisième disque représente un condensé, la symbiose idéale d'un univers : alliance de la rage post-hormonale et post-pubère du premier ("Taste in men", "Black eyed", "Haemoglobin"...) et du spleen mélancolique plus mature du second ("Passive agressive", "Blue american", "Narcoleptic", "Peeping Tom"...). Textes au diapason de ces éléments, à la fois exhibition des fantasmes et obsessions du leader, et journal intimiste et introspectif de ses états d'âme. Nous sommes en terrain connu, rien de dépaysant et d'étonnant à l'éclat de leur mascara. force est de constater une stagnation de leur musique : pas d'innovation majeure à déplorer, pas de révolution à dénoncer. Ils se défendent de formules établies, pourtant, reconnaissons une spontanéité quelque peu éventée et une efficacité quasi-suspecte (Il faudrait être sourd pour résister à "Days before you came", "Black eyed", "Slave to the wage" !). Ils capitalisent sur leurs acquis et leurs dividendes, ils creusent leur sillon. Plus profondément dans la stratosphère de leur musique. Si ce ne sont les incursions furtives et en portions congrues (pour démontrer qu'ils sont à la page ?) du rap sur "Spite and malice" par le biais de Justin Warfield (ancien One Inch Punch), intervention bienvenue car elle dynamite la donne installée de son verbe énergique; et de la technologie sous la forme de sampler et de boucles. Deux gouttes d'eau dans cette tempête chaotique où règnent sans partage les trois instruments sus-cités. Non, le rock n'est pas mort. Et puisque Radiohead est allé voir ailleurs si nous y étions, Placebo s'incruste aisément sur le trône, porte-parole, garant et héraut du rock le plus excitant et flamboyant du moment, bien que parfois allègre plagiaire (la trame et le riff de "Taste in men", décalqués - en moins bien - de "Let there be more light" de Pink Floyd). Bientôt, ils remiseront leurs bas résilles et démaquilleront leur visage, superficiels et essentiels accessoires de l'édification du mythe (et fond de commerce). Cela ne les empêchera pas de conserver cette tension ambiante électrique, cette nervosité des instruments hystériques. Pour l'instant, Brian Molko affiche un rouge à lèvres des plus éclatants, jusqu'aux oreilles. Nous aussi. (combien de temps encore avant la lassitude ?).