The golden archipelago

Shearwater

par Jérôme Florio le 30/03/2010

Note: 8.5    

Déçus par "Rook" (2008), pourtant généralement très bien accueilli, on approche "The golden archipelago" avec circonspection.

Shearwater est un groupe qui a beaucoup changé : on mesure combien "Winged life" (2005) était le résultat d'une collaboration entre Will Sheff (Okkervil River) et Jonathan Meiburg. Après le départ de Sheff, à l'écriture brillante mais plus conventionnelle, Meiburg s'est retrouvé naturellement libre de ses mouvements. Cela a donné "Palo Santo"(2006) qui s'éloignait ostensiblement des canons rock et folk (on citait alors Talk Talk, Mark Hollis). "Rook" tentait de creuser le sillon, mais avec des chansons plus faibles qui tenaient mal le grand écart entre emphase et recueillement. Avec le recul, "Rook" apparaît comme le maillon faible de leur discographie.
Présenté comme étant dans la continuité musicale et graphique de "Rook", "The golden archipelago" laissait donc craindre une aggravation des faiblesses de ce dernier. Premier contact : le visuel, en effet cohérent avec celui de "Rook", est clairement inspiré du romantisme gothique de "L'île des morts" (fin 19e) du peintre suisse Arnold Böcklin.





Ce n'est pas la première référence picturale que Jonathan Meiburg utilise : on se rappelle de "La dame à la licorne" – titre d'ouverture de "Palo santo" et célèbre tapisserie du 15e siècle conservée au musée de Cluny à Paris. Rayon rock, on pense aux visuels de Storm Thorgerson pour Pink Floyd ("A momentary lapse of reason", 1987)... ou à "Tubular bells"(1973) de Mike Oldfield (pour la musique aussi, sur "Hidden lakes") .







Ce sont autant de rapprochements qui font que la pochette de "The golden archipelago" semble déjà datée : donc pas de risque qu'elle le paraisse davantage dans vingt ans ! Seul souci : cela peut annoncer un "concept album" pénible, sur le thème des îles de surcroît... bâillements.

Au bout d'une écoute, on sait que "The golden archipelago" s'avale d'une traite ou pas du tout ! Pour autant, aucun risque d'indigestion, et même on en redemande  : on n'est pas dans la "collection de chansons" typique d'un disque de "singer-songwriter", mais plutôt dans une élaboration pensée, architecturée. A l'heure de la consommation musicale en petites tranches de mp3, sortir un disque qui se rapproche d'un "concept album" n'est pas spécialement dans l'air du temps - voire un peu réac' ? Loin d'un "prog rock" bavard (il y en a du bon aussi... sans doute), les compositions restent concises. Shearwater parvient maintenant à étendre à un disque entier cette succession de moments calmes et intenses qui sont leur marque de fabrique : "The golden archipelago", s'il est pensé par Meiburg, montre un groupe confiant, soudé, en pleine possession de ses moyens.

"Meridian" commence dans leur style caractéristique, d'abord presque chuchoté, puis qui s'achemine doucement vers une plus grande tension... avant la tempête qui éclate sur "Black eyes", avec piano obsessif et rythmique massive (Thor Harris, batteur musical au langage varié). Plus loin la démontée "Corridors" a aussi son lot de zones de turbulences. Jonathan Meiburg semble s'oublier pour se fondre dans la masse sonore créée par le groupe, ce qui n'est pas un mal car sur "Rook" il chantait un peu au-dessus de ses moyens. Shearwater parvient à construire des édifices solides qui reposent sur des fétus de paille : "Landscape at speed" tient debout sur un simple motif de... triangle ! "Runner of the sun" utilise intelligemment un marimba (ou une guitare électrique qui en reproduit le son) comme base, avec une rythmique affirmée et des cordes rafraîchissantes comme une perturbation passagère.

"The golden archipelago" est un disque supérieur à la somme de ses parties (notamment les pauses comme "God made me" ou "Hidden lakes", choix de single pas évident). A la fois lyrique et fin, il assume clairement ses affinités avec un rock presque progressif, mais très porté sur l'émotionnel.


SHEARWATER Hidden lakes (Clip 2010) © Matador Records