Coïncidences

Stephan Oliva

par Sophie Chambon le 30/11/2005

Note: 9.0    

Après le splendide "Itinéraire imaginaire", qui nous entraînait dans son univers si personnel, on attendait avec impatience cette adaptation austérienne de Stephan Oliva qui avoue avoir trouvé en ce contemporain un de ses écrivains fétiches.

De courtes pièces constituent les dix-huit chapitres de ce livre de la mémoire, cette "invention de la solitude" que retraverse Stephan Oliva pianiste original, sensible et cérébral, tristanien, evansien certes (ce n'est pas nous qui le lui reprocherons) mais qui, sans renier les figures fondatrices, ne cesse de suivre sa propre route. Le résultat de ce voyage solitaire (le fidèle Bruno Chevillon, complice de toujours, ne l'accompagne à la contrebasse et à la machine à écrire… Olympia - la marque utilisée par Auster -, que sur trois compositions) est selon Stephan Oliva lui même "une musique de livres". Comme il existe une musique de films. Mais sans être vraiment "illustrative", elle célèbre la rencontre entre deux univers proches qui se jouent des coïncidences et de la musique du hasard, pour entraîner le lecteur, devenu auditeur, dans les vertiges de l'inéluctable. Sans arrêter jamais le jeu des associations, dans ses notes de lecture très finement rédigées, le pianiste évoque chaque référence, décrypte les titres conçus en fonction des livres de Paul Auster. C'est que cette oeuvre écrite, il l'a parcourue en tous sens. Avec pour résultat que l'écoute attentive de sa musique est le meilleur guide en Austérie. Ce "Coïncidences" qui aurait pu aussi bien se prénommer "La traversée" est une initiation à la bibliothèque austerienne.

Les titres évoquent les romans et toutes les compositions sont de Stephan Oliva à l'exception du délicieux "Smoke gets in your eyes" qui renvoie bien sûr au standard célèbre de Jérôme Kern mais se révèle aussi un clin d'oeil supplémentaire au travail de l'écrivain, entré en cinéma dans "Smoke" avec Wayne Wang. Le piano cristallin, tour à tour clair et droit, mais aussi tendre et mélancolique, égrène des mélodies caressantes, envoûtantes. Conçues sur des associations avec des départs plus ou moins prévisibles, marquées de changements de tons de plus en plus rapides, ces pièces ébauchées, minimalistes souvent, tendent à l'épure ; comme Auster, Oliva nous entraîne dans un monde imaginaire qu'il corrige par un travail effectué sur lui même et ses ressassements. Si tout livre s‘écrit aussi pour faire place à un silence, dans la musique de Stephan Oliva, une voix se fait entendre qui cherche et trouve l'écho d'autres voix et d'elle même. Il est sans doute celui qui dépeint le plus fidèlement l'univers austérien et ses chemins labyrinthiques. Comme celle d'Auster marquée par une "inquiétante étrangeté", son écriture installe une défamiliarisation progressive : tout entière écho, reflet, close sur elle-même et ouverte au hasard, sur le fil du piano, sans vertige, mais peuplée d'ombres réelles et d'illusoires silhouettes.

A l'écoute de ce disque enregistré à la Buissonne par l'excellent Gérard de Haro, on a l'impression d'assister à un récital solitaire que le pianiste donnerait pour nous seul, dans une soirée privée. Une telle intimité se mérite et comme en concert, il faut s'y préparer pour goûter pleinement et d'une traite, la structure élaborée finement, réfléchie.
Après cette expérience, on ne (re)lira pas autrement Auster, mais on aimerait que s'effectue une rencontre entre les deux hommes, on rêverait d'une lecture de l'Américain à Actes Sud, en Arles, accompagné des notes de Stephan Oliva. Si la vie est un songe, croyons Paul Auster quand il nous dit que la réalité est souvent plus étonnante que la fiction…