Miroirs

Stephan Oliva

par Sophie Chambon le 07/11/2006

Note: 9.0    

"Miroirs" est le dernier des cinq albums consacrés aux standards par le label Minium, un hommage à cette thématique essentielle dans l'univers du jazz et une carte blanche à Stephan Oliva, l'un des musiciens "fétiches" de Philippe Ghielmetti (fondateur et producteur de Minium).

Un contrebassiste, un batteur et deux chanteuses entourent le pianiste, tous complices, et amis de longue date pour certains. Tel le passage de témoins dans un relais que couvrent les interprètes, pour un voyage dans l'imaginaire du chant et de la musique. C'est aussi l'occasion d'un portrait en demi-teintes, tout en nuances de cet artiste singulier, emblématique d'un certain jazz, actuel. Suzanne Abbuehl, "la plus que lente", comme la nommait justement Philippe Carles, a trouvé en Stephan Oliva l'accompagnateur idéal : elle distille "My one and only love" avec élégance et aisance. Pour "Come rain or come shine", elle sonne légère et amoureuse, un répit dans le montage de cet album souvent nostalgique : ainsi, "Moon river", même drivé par l'impeccable Joey Baron, dont on connaît la saine vigueur et le souriant entrain, est indissociable de l'image d'Audrey Hepburn, si délicatement fragile dans "Breakfast at Tiffany's".

Le batteur laissera une empreinte moins mélancolique avec "La Sachs march" de plus de 8 minutes. Dans le cas de Linda Sharrock qui a déjà tourné avec Stephan Oliva et Claude Tchamitchian, la fragilité extrême de la chanteuse nous fait pressentir que le pire pourrait advenir, tant la voix est tendue, l'interprétation sur le fil : peu étonnant puisqu'elle reprend, dès l'ouverture le poignant "Sometimes I feel like a motherless child". Question d'interprétation à tous les sens du terme et e pure subjectivité de la part de l'auditeur : sa voix s'étrangle sur le "Mother", injonction désespérée et l'on peut se sentir gêné d'assister à un tel naufrage, ou glacé jusqu'au sang de cet abandon. Ce premier thème ne laissera pas indifférent et il faut un peu de temps, passer la version pure et "foltzienne", légèrement orientalisante de "Naima", pour retrouver l'allant de Claude Tchamitchian dans "La plus belle africaine". Avant qu'il ne reprenne dans une version sobrement émouvante l'air de Bess "I love you Porgy".

On vous le disait, un album nostalgique en diable, monté avec soin, enregistré finement à la Buissonne, un album de fin de dimanche, pour le recueillement, à se passer seul ou entre amis. C'est Linda qui ferme le bal et le choix de "Solitude" est encore judicieux, perle noire que magnifia Billie et que Linda lance au bord du souffle et du désespoir. Quant à Stephan Oliva, il porte le disque de bout en bout, soutenant ses chanteuses ou ses amis instrumentistes. Il est présent et discret à la fois, inoubliable et essentiel. Il sait rendre proches ces belles mélodies, leur insuffler douceur et violence. Il est parfait.