Sweetheart of the rodeo (Legacy Edition)

The Byrds

par Francois Branchon le 31/01/2004

Note: 10.0    

Chronique d'un désastre commercial annoncé... et d'une injustice réparée.

Au début 1968, alors que le rock est en pleine effervescence psychédélique, devenant aventureux, surréaliste ou sombre, les Byrds ont d'autres idées. Quelques mois plus tôt, Bob Dylan remis de son accident de moto a publié un "John Wesley Harding" d'essence country. Parmi les grands noms du rock, peu de références directes à ce style, les Beatles en de rares occasions (la reprise de Buck Owen "Act naturally"), les Stones par touches indirectes, le Grateful Dead bien plus tard. La musique country était ouvertement et franchement méprisée, par les musiciens comme par leurs auditeurs, et aucun groupe n'aurait envisagé de lui dédier un album entier. Les Byrds si !

Enfin Roger McGuinn, car début 68, des Byrds qui ont publié cinq (merveilleux) albums en trois ans de vie, il ne reste plus grand monde. Gene Clark est parti depuis longtemps, David Crosby pendant l'enregistrement de "The notorious Byrds brothers", suivi du batteur Michael Clark. Ne reste que Chris Hillman pour aider McGuinn à tenir la baraque. Ils font appel à Mike Kelley le cousin d'Hillman pour la batterie et embauchent un jeunot quasi inconnu de 21 ans, guitariste et pianiste, Gram Parsons. Cette formation, qui ne durera que 6 mois, va non seulement écrire une page notoire de l'histoire des Byrds, mais pondre un album de référence, un des plus importants de ces trente-cinq dernières années.

Bien qu'enrôlé dans les Byrds comme simple musicien de studio, l'influence de Gram Parsons sur McGuinn est telle qu'il bouleverse le projet. De double album retraçant l'histoire de la musique américaine, "Sweetheart of the rodeo" devient un vrai album de country nashvillienne, sincère et sans ironie. Parsons écrit deux titres, en chante cinq autres et joue sur tous, mais, comme leader du groupe International Submarine Band et comme artiste solo, il est sous contrat avec le label LHI de Lee Hazlewood. Un Hazlewood chercheur de noises qui impose qu'on n'entende pas sa voix sur ce "projet concurrent". A l'exception de deux morceaux, tous furent remixés avec la voix de McGuinn, et le "Sweetheart of the rodeo" publié en août 1968 n'est plus vraiment l'album de "Gram Parsons & The Byrds". La réédition Legacy publiée aujourd'hui lui rend justice en restituant en bonus toutes les bandes master où il chante, pas moins de onze morceaux, en comptant les outtakes.

Enregistré à Nashville, "Sweetheart of the rodeo", vrai four pour des Byrds habitués aux sommets des charts (classé No77, sans aucun single), est l'exemple classique du disque intemporel unanimement détesté à sa sortie. L'album original est un vrai trésor, joyeux du début à la fin, illuminé de pedal-steel, de banjo délié et de crin-crin guilleret. Les deux compos de Parsons mises à part ("Hickory wind" et "One hundred years from now"), toutes les autres sont des reprises, de morceaux contemporains (Dylan) ou de thèmes classiques (Louvin Brothers, Merle Haggard, Woody Guthrie...).

Alors en plein tourbillon "Basement tapes" avec The Band, Dylan donne à McGuinn deux morceaux : avec les prouesses de Lloyd Green à la pedal-steel, les Byrds ensoleillent un "You ain't going nowhere" aux paroles pourtant bien sombres et pimentent le refrain de "Nothing was delivered" de riffs rock aussitôt engloutis dans les entrelacs vocaux . La reprise des Louvin, "The christian life" coule de source, carrée comme de la pop, autant que "You don't miss your water" de William Bell est désabusée, la grande ballade de Woody Guthrie "Pretty boy Floyd", avec son violon agité et son banjo intenable retrouve une étonnante jeunesse et donne envie de se taper le cul par terre pendant des heures, Chris Hillman chante "Blue canadian rockies" et le traditionnel "I am a pilgrim".

Mais Parsons vole déjà la vedette. Face à lui, aussi bien qu'il puisse chanter, McGuinn est un amateur. L'inimitable douceur de crooner country cœur brisé perfuse "You're still on my mind", le magistral "Hickory wind", regard sur sa propre enfance dans le Sud, plane sur le disque de ses larges ailes. Beau à tomber. Un sentiment également perceptible dans ses propres compos, "One hundred years from now" (chanté par McGuinn et Hillman).

Mais - pour une fois ! - ce sont les bonus qui rendent fébrile. Trois prises d'origine avec la voix de Parsons sont restituées : "You don't miss your water", un terrifiant "The christian life" (que McGuinn confesse aujourd'hui avoir rechantée sans trop y croire) et "One hundred years from now", avec dans la foulée une troisième compo de Parsons, non retenue en 68, le puissant "Lazy days". Le premier disque est complété par l'arrangement de McGuinn et Hillman du traditionnel folk "Pretty Polly", hypnotiquement joyeux, la reprise de "Reputation" de J.T. Hardin et l'inédit "All i have are memories" chanté par le batteur Kevin Kelley.

Le deuxième disque est un festival Parsons, au-delà des Byrds. Il débute par six titres de l'International Submarine Band, dont les trois rock songs (d'esprit Buffalo Springfield) du très rare premier single de 1966 ("Sum up broke"/"One day week"/"Truck drivin' man"), et trois autres tirés de l'album "Safe at home" de 1967, fameux album sacré "fondateur du country rock", que Hazlewood qualifiait de "country contemporaine" et où Duane Eddy retrouvait "l'âme d'un George Jones ou d'un Buck Owen"... les splendides "Blue eyes" et "Strong boy" en sont extraits, avec le rutilant "Luxury liner", rock habillé de country, les Rolling Stones chevauchant en plein désert, une musique dont on réalise aujourd'hui les années d'avance sur son temps.
Les autres titres - retour au "Sweetheart" des Byrds - est une quinzaine de prises alternatives et de versions démo, toutes chantées par Parsons, enchaînement un peu répétitif (beaucoup de doublons) mais qui réserve cependant sa petite surprise, une interprétation sans harmonies vocales de "Hickory wind", laissant seule et dépouillée la voix de GP, encore plus poignante.

Lorsque paraît "Sweetheart of the rodeo" en août 1968, Parsons a déjà quitté les Byrds, excédé par le mixage final qui l'élimine de l'album. A la fin de l'année, il débauche Chris Hillman et forme les Flying Burrito Brothers. En 1973, après deux albums classiques avec eux et deux magnifiques albums solo, il meurt d'une overdose morphine/tequila. Il avait 26 ans. Il n'aura été membre des Byrds que quelques mois, mais quelle influence ! "Sweetheart of the rodeo" aura marqué les esprits pendant trois décades, Eagles, R.E.M., Wilco... pour ne citer que les grands noms. Cette réédition sans reproche lui rend un hommage détaillé et justifié.


MT
Pretty boy Floyd
Nothing was delivered
Hickory wind
Pretty Polly