Taste

The Telescopes

par Jérôme Florio le 12/08/2006

Note: 8.0    

Il y a deux ans, Rev-Ola sortait le deuxième disque jamais paru des méconnus Telescopes, "#Untitled second", qui a sa place au rang des réussites du rock anglais du début des années 90. Calme et doucereux, c'est presque l'opposé de la décharge sonique que l'on subit à l'écoute de "Taste", leur premier album sorti en 1989 chez Creation Records.

Les Telescopes sont associés à la scène "noisy pop", qui a accouché du mouvement baptisé "shoegaze" – pour ces groupes qui se souciaient davantage de fixer leurs pédales d'effet plutôt que leur public. Un qualificatif sympathique mais un peu péjoratif, qui enferme dans une même posture de nerds autistes des groupes très variés : les Telescopes se rapprochent certes du mur du son taquiné par My Bloody Valentine (voisins de label, qui ont signé la fin du genre avec l'étalon "Loveless"), mais en beaucoup moins pop. "Taste" est un concentré d'images adolescentes au romantisme noir ("your kiss intoxicates me", par exemple...), obsédées d'elles-mêmes jusqu'au dégoût. Elles s'expriment dans un mélange de pop hardcore (Jesus & Mary Chain, "Psychocandy") et de psychédélisme réinventé, nauséeux et statique (les Spacemen 3 de Jason Pierce). "I fall she screams", "Oil seed rape", "Threadbare" ont la démarche épileptique et l'oeil vitreux, prises dans un cauchemar imaginé par Syd Barrett avec les guitares hurlantes de Sonic Youth. Les passages les moins agressifs à l'oreille sont des drug-songs comme aurait pu les chanter Peter Perrett, des Only Ones : "And let me drift away", placée vicieusement en accroche du disque ; "The perfect needle", au titre équivoque, rappelle l'attirance ambigüe pour les violons lancinants de "Venus in furs" du Velvet Underground. Les titres des chansons disent la perte de repères, comme pris dans des spirales vicieuses ("I'm like a stone in water" sur "Threadbare"), jusqu'à la porte de sortie extrême - "Suicide" et son déluge attendu.

Quatre titres bonus captés en live parachèvent le saccage dans un déluge de wah-wah stoogienne. "Taste" collecte les clichés d'auto-destruction, mais à tel point qu'on les suppose joyeusement singés par une jeunesse sonique écartée des excès grâce à son ironie ravageuse.