Visiting jazz - Quand les jazzmen américains ouvrent leur porte (Collection Attitudes)

Thierry Pérémarti

par Sophie Chambon le 07/02/2010

Note: 10.0    

Un livre épatant qui nous permet d'entrer dans l'intimité de jazzmen américains (un format identique pour chacun, deux pages et une photo). C'est au journaliste Thierry Pérémarti que l'on doit cette belle idée de proposer une série de rencontres au domicile même des musiciens. Il nous fait ainsi partager un instantané de vie, d'autant qu'il opère seul avec un minimum de matériel, prenant lui-même une "snapshot" pour illustrer son propos. Comme l'écrit Alex Dutilh dans une préface sensible et juste, il s'agit "d'un vrai geste journalistique de "médiateur"… où le vrai lâcher prise que nous recherchons tous dans la musique s'opère dans la conversation". L'essentiel de cette musique réside dans l'instant et l'échange immédiat. C'est ce qu'a parfaitement réussi l'auteur de ce livre : un sens aiguisé de la formule, une poésie de l'anecdotique se dégagent de ces entretiens enregistrés entre décembre 1998 (le premier "at homisé" fut Milt Jackson) et mai 2009 (le dernier Jack Costanzo)* qui constituèrent par ailleurs l'essentiel d'une rubrique tenue dans le journal Jazzman.

Sur dix ans, le journaliste-enquêteur a ainsi approché au plus près des jazzmen, qu'ils soient musiciens culte (Roy Haynes, Wayne Shorter, Horace Silver, Lalo Schiffrin, Pharoah Sanders…), ou "seconds couteaux", voire inconnus du grand public. Voilà donc l'histoire du jazz américain et de ses acteurs, en un condensé émouvant, l'expression multiforme d'une "communauté" des plus attachantes. Thierry Pérémarti obtient avec cette "carte blanche" un résultat étonnant, dégagé des contraintes de l'actualité et de la promotion, de la recherche de scoops : c'est un travail d'écriture, plus près du portrait littéraire que des clichés de l'analyse critique. La musique que nous aimons est au centre de ces vies, modestes souvent. On s'attache très vite à ces "short stories" que l'on lit d'un trait, à ces pages que l'on découvre avec plaisir, émotion souvent, nostalgie toujours. Voilà un coup gagnant, une formule juste qui tente quelque chose d'autre : si on avait songé ou espéré pareille démarche, Thierry Pérémarti l'a réussie. Merci à lui et à la maison d'édition marseillaise Le Mot et le Reste pour cet ouvrage que nous recommandons vivement à ceux qui aiment vraiment le jazz.


*Costanzo est à juste titre un pionnier, le monsieur qui a popularisé et mis à la mode les bongos dans la culture américaine…Le seul survivant du Nat King Cole and his Trio"