Life is people

Bill Fay

par Jérôme Florio le 27/09/2012

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
Big painter
Never ending happening
Empires


Progressivement remis en selle depuis le début des années 2000 suite à une première vague de rééditions, et grâce à l'influence de porte-voix prompts à le citer comme influence majeure (Jeff Tweedy, de Wilco, dont on reparlera plus loin), "Life is people" marque le véritable retour du vétéran Bill Fay – et quel beau retour.

Avec deux véritables disques à son actif à la charnière 60-70, Bill Fay a-t-il seulement été vraiment parmi nous ? C'est rien moins qu'un hiatus de quarante ans qui prend fin aujourd'hui ; autant dire toute une génération pendant laquelle nous sommes nés et nous avons grandi, sans ses disques. D'où vient alors cette sensation de proximité ? Bien sûr, Fay n'est pas le premier papi rockeur à sortir des limbes : mais à la récente différence d'un Roky Erickson, nul besoin de la béquille d'un jeune groupe fougueux (Okkervil River) pour faire tout le boulot. Bill a beau être accompagné par les musiciens de… Noel Gallagher (!?), c'est lui qui tient la barre ; et pour faire le liant avec autrefois, on retrouve Ray Russel et Alan Rushton qui jouaient sur "Time of the last persecution" (1971).

Entre éclaircies et ciel sombre, "Life is people" est d'une noire beauté. Bill Fay n'est toujours pas un grand chanteur, voix fatiguée en prime, mais il incarne sa musique comme peu le font. Durant toutes ces années loin de l'industrie musicale, il n'a jamais cessé d'écrire et d'enregistrer chez lui, et ses chansons reflètent une réflexion toujours en mouvement : tous les thèmes abordés, dont l'énumération peut faire catalogue (guerre, pollution, spiritualité au sens large, les civilisations…) sont passés au tamis d'une expérience émotionnelle, humaine. Cela donne un disque un peu "bigger than life", à portée universelle, un genre auquel on n'est plus habitués (on pense à John Lennon...). "There is a valley" et "This world" sont classic-rock bon teint, cette dernière bénéficiant de la discrète présence de Jeff Tweedy aux chœurs. Pour la première fois, on remarque la filiation vocale. Fay emballe le retour d'ascenseur en reprenant  plus loin "Jesus etc." sans artifices, au bord de l'épuisement – c'est peut-être dans cet état que sont adressées les plus sincères prières.

La magie opère, au point d'inflexion entre les funèbres cordes lancinantes de "Big painter" et le piano de "Never ending happening". L'obscurité n'est jamais totale : "Be at peace with yourself", avec son chœur gospel qui ailleurs sonnerait tarte-à-la-crème ; "Empires", "The healing day", beaux slows à l'ancienne avec orgue et cordes, sont des chansons de réconfort. "City of dreams" est une classieuse balade bluesy nocturne comparable à celles que Bob Dylan sert à exemplaire unique sur chacun de ses derniers disques.

La voix de Bill Fay fait partie de celles, rares, qui forcent l'écoute non pas à cause de leur qualité technique mais par le poids humain qu'elles véhiculent. Par-delà les générations, "Life is people" est un disque frère, partageur et ouvert. Une main tendue que l'on se hâte de saisir. Mais comme toujours chez Bill Fay, les plus humanistes de ses chansons sont minées de l'intérieur : la lutte intérieure est permanente, totale. Loin d'être une prière lénifiante, "Thank you  Lord" ouvre sur des abîmes bien plus sombres où l'on sent tout proches le scepticisme, le doute, et la fragilité de notre condition.



BILL FAY This world (Clip 2012)



BILL FAY Big painter (Audio seul)



BILL FAY Empires (Audio seul)