BBC Sessions

Cream

par Francois Branchon le 27/01/2004

Note: 9.0    

Écouter Cream amène à s'amuser des groupes tentaculaires, Lambchop, Spiritualized... : pourquoi trois contrebassistes, un joueur de marimba et un autre de triangle, quand on peut faire un tel raffut raffiné et jouissif à trois ! Avec Cream, le "peu" rime avec "bien plus", et même le grand Led Zeppelin - qui n'aurait sans doute jamais décollé sans Clapton, Bruce et Baker pour baliser la piste - était quatre. Jamais auparavant un groupe de rock n'aura atteint une aussi haute intensité avec aussi peu de moyens, et jamais plus depuis d'ailleurs, n'en déplaise aux (excellents) White Stripes.

Ce minimalisme de forme, s'il permet de mettre à nu l'essentiel, n'est évidemment pas tout le secret de Cream, à chercher aussi dans une capacité éblouissante à transformer le Chicago blues en rock psychédélique - une approche initiée dès 1965 par John Mayall et ses Bluesbreakers, formation d'où sortait Clapton - en le mâtinant d'une sophistication toute jazzy. Leur seul défaut - sur scène - relève de la soloïte, maladie d'époque qui entraîne les musiciens dans des solos invraisemblables de longueur, de batterie comme de guitare (les versions live de "Toad" et "Spoonful" sur l'album "Wheels of fire").

Le cahier des charges de la BBC interdisant toute digression de ce genre, cette compilation de leurs passages radio-télé de 1966 à 1968 (émissions Top Gear, Band Beat et Saturday Club) est donc une bénédiction, Eric Clapton, Jack Bruce et Ginger Baker se cantonnant au format court des albums, chansons "réglementaires" de trois minutes. Appuyés sur une batterie qui n'en finit pas de rebondir, ramassés sur eux-mêmes, les morceaux se gorgent de sève, une densité encore renforcée par le son mono, bien plus compact. Parfois, la contrainte de durée restitue une nature originelle oubliée de chanson pop (''I feel free'', ''Strange brew") qui oblige Clapton à donner son meilleur jeu de guitare.

A l'exception de "Spoonful", "Sunshine of your love" et "NSU" tous les titres emblématiques sont joués.
Les standards de Chicago passés au filtre lysergique se taillent une part de lion : ''Steppin out" (Freddie King), "Crossroads" et "Four until late" (Robert Johnson), "Born under a bad sign" (Booker T Jones), "Steppin' out" (James Bracken), "Rollin' and tumblin" (Muddy Waters), "Outside woman blues" (Arthur Reynolds), les traditionnels "Lawdy mama" et "Cat's squirrel" et bien entendu "I'm so glad" de Skip James (dont le succès planétaire offrit à James les royalties pour payer l'opération de son cancer et trois années de vie).
Mais les compos signées Cream les valent, "Tales of brave Ulysses" et sa wah-wah, "Swlabr", "Strange brew", "Sweet wine", "I feel free"... Jack Bruce chante tout ça d'une voix presque angélique parfois et on a en prime droit à des bouts d'interviews de Clapton.

Ce disque présente aussi Cream sous leurs différents visages, étudiants sages et concentrés en 1966, flamboyants de psychédélisme musical (et vestimentaire) en 1967, et enfin au bord de l'essoufflement, les trois derniers des 26 titres enregistrés en janvier en 1968 pour Top Gear, dont "Politician", laissant craindre - si le groupe n'avait pas splitté - une fin à la Free ou à la Black Sabbath...