Tout sera comme avant

Dominique A.

par Martin Simon le 15/05/2004

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
Tout sera comme avant
Le départ des ombres


"Tout sera comme avant" : c'est donc avec ironie certaine que Dominique A. rompt de nouveau avec les productions du passé. "Remué" surprenait déjà par son âpreté inédite, "Auguri" signait un retour à la transparence des premières heures. Mais jamais le chanteur français, véritable figure emblématique des nouveaux gratteurs de plumes, n'avait atteint une telle singularité.

Certes, cet album est parsemé d'échos à ceux "d'avant", truffé d'éléments familiers : basses indignées ("Tout sera comme avant"), guitares quasi-amorphes ("Dans les hommes", vague souvenir de certaines collaborations avec Yann Tiersen), accords chevauchés ("Revenir au monde")… On y côtoie le même goût pour les hachures glaciales ("Bowling"), le même penchant pour les ballades tièdes ("La retraite à Miami"). Et surtout, ce timbre si unique, incomparable et frémissant.

Mais justement, Dominique A. "Tout sera comme avant" est une mosaïque chaude et froide de titres particulièrement féconds, aux ambiances polymorphes, aux humeurs qui s'agencent, se répondent et se complètent. Jamais un album n'avait été si peu linéaire. Et jamais le compositeur n'avait pris autant de risques, en confiant notamment - sur les traces de son aîné Alain Bashung - ses arrangements à un orfèvre du genre, Jean Lamoot. Voilà donc un contre-pied d'un nouveau style misant sur des arrangements dérangés, une voix d'une incontestable ampleur, des compositions aux souffles multiples et des idées perspicaces qui vont jusqu'à pousser l'aventure, avec prudence toutefois, dans les sphères inexploitées de l'électronique. "Tout sera comme avant" amène tout simplement une autre façon, manifestement envoûtante et fidèle à l'esprit, d'appréhender l'univers du chanteur.

Et si l'intrépide Dominique A cultive sa soif d'inédit dans les compositions, les textes eux aussi se gonflent d'audace. Il suffit de l'écouter pour deviner son attachement à la langue française. Pudeur abandonnée, flirtant avec des paroles davantage intimes ("Le fils d'un enfant") ou d'imagination inégalée ("Bowling", "Inktitut"), Dominique A. crée la surprise et se dévoile comme il ne l'aurait, de son propre aveu, jamais supposé.

Cerise sur le gâteau, le disque se conjugue avec la sortie simultanée d'un recueil homonyme de nouvelles, où plusieurs auteurs se livrent au jeu d'illustrer les chansons de l'album, sous l'unique base de leur titre (y compris Dominique A. lui-même, qui conçoit ce recueil avec modestie, comme une "dette impayée" à la littérature). Concept intriguant de livre qui s'écoute… Ou de disque qui se lit. Quoiqu'il en soit, le diptyque présente une collection de faux jumeaux, d'histoires qui se croisent et se décroisent, de destins égarés, et marque une nouvelle étape intéressante dans un parcours plutôt insolite.

C'est avec un mystérieux savoir faire que Dominique A. se met aujourd'hui en véritable danger. "Tout sera comme avant" n'est peut-être pas son meilleur disque (après tout, libre à chacun de juger), mais son œuvre la plus lumineuse, la plus ambitieuse, la plus audacieuse, et alimente une nouvelle fois sa surprenante carrière avec succès.