Etienne
Daho adore les sixties françaises - qui ici pourrait bien le lui
reprocher ! - et se serait rêvé en bonhomme yéyé aux côtés de
ses idoles Hardy et Vartan. Mais obsédé par ne pas être si simple,
il s'acharne depuis toujours à cultiver une ambiguïté (sexuelle),
un flou qui ajouterait à un supposé mystère, bâtissant un
marketing fait de "signes" (départ du plan com : les homos
glamoureux Pierre et Gilles pour la pochette de "La notte, la
notte" en 1984). Le poète et dramaturge Jean Genet (1910-1986),
sulfureux et maudit à souhait, ne pouvait échapper à sa petite
épuisette de plage. Le titre "Sur mon cou", chanté sur
scène depuis les années 90 , est précisément extrait du "Condamné
à mort", long poème épique écrit en 1942 par Genet, alors en
taule à Fresnes.
Décidé
à conquérir son Graal, notre grand transgresseur s'attaque à
l'intégralité de ce "Condamné à mort". Et là, il y a
du lourd, l'œuvre elle-même d'abord, ses interprétations passées
ensuite, certaines inoubliables.
Genet
avait dédié Le
Condamné à mort,
à Maurice Pilorge, un jeune assassin guillotiné en 1939, personnage
qui le fascinait, lui inspirant ses phantasmes pour le voyou à belle
gueule et l'amour charnel entre prisonniers – thèmes repris en
1950 dans son film "Un
chant d'amour".
A
la suite d'Hélène Martin - qui l'avait mis en musique en 1962 et
chanté sur un mode ultra-sobre et aride - on se souvient de Jacques
Douai, martial de gravité, de Francesca Solleville, et bien entendu
de l'immense Marc Ogeret en 1971, avec Hélène Martin encore à
l'adaptation et à la guitare, un Ogeret à la voix "physiquement"
parfaite dans l'expression du désir sensuel associé à la
promiscuité glauque de la cale de ce navire ivre en partance pour le
bagne... "On dit que la Guyane est une terre chaude"...
"Chaque marin tient prête sa verge qui bondit dans sa main de
fripon"... "Et c'est pour t'emmancher, beau mousse
d'aventure, qu'ils bandent sous leur froc les matelots musclés"...
Alors,
notre Daho en veste Armani dans tout ça ? Sans souci il
transforme cette transpiration, cette moiteur et ce désir de
cul en objet pop, une relecture sur papier glacé d'un des
grands textes homo de l'Histoire, un Clo-Clo produit par le magazine
Têtu... et que vient donc cautionner ici la grande Jeanne Moreau
en Sylvie Vartan de rechange ?
Devient-on ambigu en cultivant
l'ambiguïté, s'enveloppe-t-on de mystère en jouant les mystérieux
? Etienne Daho a voulu s'attaquer à un Everest, il n'a pas dépassé
les boutiques à souvenirs de la vallée.
NB
: Etienne devrait au contraire se contenter de prolonger le mythe yéyé, il y parvient fort bien, il y sonne "juste", et les
"idoles" lui en sont reconnaissantes :
SYLVIE VARTAN & ETIENNE DAHO Quand tu es là (France 3 Septembre 2010)