Dyed in the wool

Shannon Wright

par Cyril Moya le 20/11/2001

Note: 9.0    

Ouf ! Jusqu'à cette sortie, le cas Shannon Wright semblait perdu. Deux albums en autant d'années, deux rendez-vous manqués avec la critique (indifférence consentie au pire, adjectifs pathétiques et éculés au mieux), mais ce troisième album bénéficie enfin d'une distribution convenable. Difficile cependant de l'appréhender sans une mise en parallèle avec ses prédécesseurs, deux brûlots à réhabiliter d'urgence... "Flight safety" (1999) d'abord, enregistré dans la foulée de l'après-Crowsdell (son précédent groupe), disque de folk aux airs faussement tranquilles, onze chansons parées au minimum (une guitare, une voix, quelques notes de piano ou un violon esseulé...), humbles et gracieuses, écrins soyeux d'une bonne dose d'idées noires. Une jolie collection de papillons de nuit en somme. "Maps of Tacit" (2000) son successeur fut reçu comme un coup de poignard en plein mois de juin, dépresseur définitif, nerveusement à la limite de l'écoutable, le genre d'album qu'on maudit en public pour mieux le chérir en secret. Une seule écoute de "Dirty facade" ou "Heavy crown" plante cette évidence en pleine gueule : ce disque fout les pétoches, les vraies. Alors évidemment, c'est un peu anxieux qu'on aborde "Dyed in the wool"... Pas convaincus d'y trouver assez d'air... Assez d'espace. Jusqu'ici autarcique complète, en tête-à-tête quasi-permanent avec ses chansons, Shannon Wright a laissé s'infiltrer quelques contorsionnistes (téméraires) : des Calexico, Rachel's ou Japancakes. Sans se laisser enfermer par le format déjà étriqué des compositions de la demoiselle, ils ont, à défaut de les aérer, intégré ses chansons de manière à les rendre encore plus compactes. A l'exception du titre éponyme, sous le patronage de la paire Burns/Convertino (Calexico) et d'un "Methods of sleeping" frappé du sceau de Rachel's, c'est l'urgence mais surtout l'incroyable densité de ces morceaux qui surprend d'abord. A tel point qu'on jurerait parfois l'entendre accompagnée par Don Caballero ou Blonde Redhead ("The path of least persistence", "Less than a moment"), attaquée de tous côtés par une batterie martiale ou une guitare en roue libre. Une urgence qu'on retrouve intacte dans sa voix. Une voix de givre et de feu, d'envolées furieuses et de cassures abruptes, insensée, brutale, folle, à voir (comparaison hasardeuse) en pendant féminin de Troy Balthazar de Chokebore (Le Nanni Moretti du rock indépendant). Vous l'aurez compris : la voix c'est la grande affaire de ce disque... Et inutile de chercher une quelconque expressivité poussive ou d'évoquer 'l'indécence' (contacter Hawksley Workman pour ça) : cette fille brûle par les deux bouts ! Il suffit de la voir sur scène : Shannon Wright a le pouvoir de transformer un concert en une expérience sensorielle relevant quasiment du charnel. Par le sang, par les pores, par les larmes... Et de fuir la scène précipitamment sous peine de détruire son peu de matériel ou d'exterminer la première rangée de spectateurs...