Dirty (Deluxe Edition)

Sonic Youth

par Flavien Girard le 28/11/2003

Note: 9.0    

Sonic Youth est une formule mathématique sur laquelle personne ne tombe jamais avec exactitude. "Dirty" est rempli de points de symétries et de belles inconnues qui à force d’acharnement et de gommages dans le vif sont devenus tout sauf des approximations. C’est un point d’ancrage, une base solidifiée pour asseoir ce que Sonic Youth a produit aux deux extrémités de sa carrière : du radical incalculable. Le groupe nous démontre dans cette réédition la plus stricte des formules artistiques : rien ne se perd, on crée à partir de rien, on transforme pour ne plus être marginaux. Le deuxième disque de cette révision est rempli de matières brutes, de premières pierres sur lesquelles les dés sont déjà jetés mais vite hors du cercle. Si chronologiquement il est de première urgence, si artistiquement il est du meilleur acabit, historiquement il est salement revanchard.

C’est que le "Dirty" que l’on avait l’habitude de connaître était un album à la production lêché-mouillé, qui glissait en rythme pas de deux dans nos tripes même s’il savait souvent prendre des chemins détournés pour nous atteindre. Un album relativement sucré mais qui finissait quand-même par gratter la gorge. On avait l’impression d’entendre une forme irréductible, un carré parfait, rigide, indémontable. Ceux qui ont tenté d’y pénétrer avec leurs interprétations s’y sont cassé les dents. Tout avait été dit sans ambiguïté et Sonic Youth pouvait matériellement faire valoir ce qu’ils avaient toujours proclamé : ils sont un groupe du corps, un groupe de l’instinct et surtout pas de l’intellect. Pour une fois nous les avions cru. Nous avions dansé sur cet album à riffs, nous étions heureux de pouvoir nous reposer un tant soit peu, de pouvoir les entendre à la radio, de voir des Pdg de maisons de disques plein d’espoir pensant qu’ils savaient de quoi il en retournait quant à la scène indépendante. Il y avait des guitares hurlantes qui nous faisait grincer, des voix hurlantes auto-destructrices qui finissaient leur vie rangée, au crochet de la sainte ligne mélodique et on se jurait de ne plus consacrer notre vie musicale qu’à des expériences aussi jouissives. C’est tout ce bonheur fruité que l’on retrouve en tant que première partie du coffret où l’album final nous est présenté. C’est toute cette énergie maîtrisée et cette puissance calculable que l’on retient pour un résultat exact, à chiffres ronds, sans infini.

C’est tout l’envers du décor que l’on visite dans le deuxième volet de cette invitation au rattrapage où nous avons accès aux répétitions privées fondatrices. C’est toute cette liberté non-calculée et cet imprévisible fondateur que l’on découvre pour une ébauche radicale, à décimales indécomposables, au parfum d’infini. Effectivement, l’intellect n’a rien à voir là-dedans, l’enlisement hypnotique peut-être. C’est revisiter les mêmes lieux avant les travaux et trouver cette nudité magnifique parce qu’elle permet tous les fantasmes. C’est se rendre compte que bientôt on va être bien. Il faut écouter ces deux volets dans tous les sens, on y trouvera alternativement le bonheur d’être chez soi et l’excitation du trajet. En tout cas n’envisagez plus l’un sans l’autre, vous rateriez une moitié de l’équation.