The world is saved

Stina Nordenstam

par Jérôme Florio le 26/10/2004

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Winter killing
Parliament square
The world is saved


"The world is saved" pose un nouveau jalon dans la discographie à la rare cohérence de Stina Nordenstam, une des personnalités les plus talentueuses à être apparues ces dix dernières années. Un itinéraire singulier, marqué par une recherche esthétique exigeante exécutée avec des doigts de fée.

Quand elle commence à publier des disques, la jeune Stina Nordenstam a déjà derrière elle de sérieuses études de musique, et fraye avec la scène jazz suédoise. "And she closed her eyes" (1994) tirait un trait décidé sur le son jazzy-naze trop ripoliné de son premier essai ("Memories of a color", 1991, avec néanmoins le beau single "Another story girl") : une bossa-nova venue des fjords, aveuglante de clarté, que l'on a écouté au casque des dizaines de fois - pour cette voix à la proximité presque gênante qui nous chuchotait à l'oreille, pour la trompette de Jon Hassel. Une sorte de duo Astrud Gilberto-Stan Getz sous d'autres climats, vite devenu un disque de chevet. Contre-pied total avec "Dynamite" (1996), inconfortable et charbonneux, où l'on ne voyait pas à deux mètres, dans lequel les guitares cramées peignaient un paysage dévasté à peine éclairé par de brèves trouées de cordes. Ecoute en apnée, avec peu d'occasions de reprendre sa respiration.

"People are strange", disque de reprises souvent méconnaissables ("Purple rain" de Prince, "Sailing" de Rod Stewart ! Mais aussi Tim Hardin et Leonard Cohen) achevait en 1998 ce premier cycle de la plus belle manière qui soit : un labyrinthe sonore à la beauté hallucinante, composé avec un art du montage qui laisse bouche bée - ces poignants arrangements de cordes, qui déclenchent des marées d'émotions, à l'opposé de l'utilisation cosmétique que l'on en fait partout. Stina Nordenstam, ou "Ma sorcière bien-aimée", car elle nous embarquait de sa voix fluette vers des territoires merveilleux. Qu'allait-elle pouvoir faire après pareil aboutissement ? "This Is" (2001) a constitué une petite surprise pour les admirateurs de la suédoise. Jusqu'ici, Nordenstam n'était pas réputée pour sa sympathie envers la scène pop-rock, dont elle disait mépriser la bêtise et les attitudes - elle n'a jamais sacrifié à la routine des concerts et des tournées promo, par exemple. Et là, tout d'un coup, elle allègeait sa musique et collaborait avec Brett Anderson (de Suede) sur deux titres : le mariage de la carpe et du lapin. "This Is" reste son disque le plus accessible à ce jour, contenant quelques perles mais moins intriguant.

Dernière étape en date, "The world is saved" confirme l'orientation prise par le disque précédent tout en la déviant subtilement. L'inspiration est intime, et jamais Stina Nordenstam ne s'est montrée plus vulnérable, si proche. Aurait-elle pu auparavant écrire une phrase comme "can't get this pornfilm out of my head", sur un "Get on with your life" qui place d'emblée le disque sous le signe d'une marche cathartique vers la lumière, un réapprentissage de la vie après un épisode douloureux - l'échec d'une relation amoureuse. Son image de peau de vache en prend un sacré coup. Aux oreilles distraites, "The world is saved" pourrait sonner comme de la musique d'ambiance. Mais écoutez-le attentivement et vous verrez les détails, comme pour le visuel où des petites créatures, mi-grotesques mi-effrayantes, habitent les photos : on ne se sent jamais seul à l'écoute de "The world is saved". Une araignée au plafond, notre Stina, pour se choisir la compagnie de ces petits monstres ? Il est souvent question de réveil, du passage brutal du rêve à la froide et dépeuplée réalité.

Entourée par la crème des musiciens de Stockholm, elle envoûte à nouveau avec son alchimie sidérante de sensibilité où pop, jazz, arrangements classiques et contemporains vivent en harmonie ("I'm staring out the world", "The world is saved"). On sent toutefois une écriture convalescente sur quelques titres ("From Cayman Islands with love", "The end of a love affair"), minés par l'angoisse mais qui trouvent in extremis la force d'envisager l'avenir avec optimisme ("Get on with your life", "Butterfly").

"You're safer with me here" : pas si sûr, vu qu'on ne sait jamais vers où on s'embarque avec Stina Nordenstam, et cette fois l'endroit où elle nous a emmené est un peu sombre. Mais c'est un vrai plaisir que de se laisser mener par le bout du nez par pareille enchanteresse, car on trouve la lumière au bout du tunnel.


STINA NORDENSTAM Get on with your life (Clip)