At Fillmore East

The Allman Brothers Band

par Francois Branchon le 05/05/2005

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
In memory of Elizabeth Reed
Stormy monday
Whipping post
Midnight rider


Des double live il y en a eu pas mal à partir de 1968, que le soir, vautré sur le pieu de la cite U on écoutait à fond dans le casque ! "Wheels of fire" des Cream, le premier d'entre eux, "Absolutely live" des Doors où on se prenait à être Densmore dans l'intro de "Who do you love", "Steppenwolf live", "4 way street" de CSN&Y...
Autant de disques qui permirent aux groupes de graver sur cire leurs délires lysergiques les plus fous et les plus longs, en parfois les ... allongeant encore ! Et à ce jeu les Allman furent les meilleurs.

En 1971, l'Allman Brothers Band avait déjà publié deux albums excellents mais n'avait pu encore transmettre au reste du monde son talent scénique, son génie d'improvisateur et de jammeur hors pair. Le double live fut la solution qui allait de soi et les gars du Sud choisirent comme havre spirituel le Fillmore East de New York, la salle de la Cote Est de Bill Graham. Pendant deux nuits de mars 1971 les magnétos tournèrent. Le double vinyle "At Fillmore East" sort en novembre.

A part peut-être Dr John, il est difficile de trouver un groupe touillant comme l'ABB le melting pot blues, rock et jazz, le jouant de manière aussi sophistiqué et surtout, réussissant à ne jamais toucher terre, même après vingt minutes d'improvisation échevelée. Leur architecture était nouvelle, passionnante, avec au cœur deux duos qui se joutent : les deux Gibson Les Paul de Duane Allman et Dickie Betts qui ne cessent de s'entre-croiser, et deux batteurs-percussionnistes inépuisables, Jaimoe et Butch Trucks (!) qui leur répondent. La basse de Berry Oakley pose le plancher et au-dessus, l'ange-messie Greg Allman survole de ses vocaux plaintifs et couve de grandes ailes lyriques d'orgue Hammond B3.

Ensemble, ils surent - et furent les seuls - offrir des morceaux d'une demi-heure sans redite, sans cliché, sans être chiants une seule seconde. Sur la scène du Fillmore ils les jouent ces pierres blanches, ces monstres : "Whipping post", vingt-trois minutes quasi exploratoires - oh ! les solos torturés de Betts -, "Statesboro blues" , - mais qui peut surpasser la puissance effervescente de Duane Allman et sa slide ? Johnny Winter peut-être...-, ''In memory of Elizabeth Reed'', l'hommage d'un Betts au style fantastiquement complexe au Miles Davis qu'il admire, "Stormy monday" à tirer les larmes au plus endurci, comme "Midnight rider" la compo de Greg en bonus sur cette Deluxe edition, "You don't love me" (entendu aussi sur le "Supersession" de Bloomfield et Stills), 19 minutes où suinte la soul...

En 1971, quand on aimait le rock blues qui envoie on chérissait son "Get yer ya yas out" des Stones sorti l'année d'avant. "At Fillmore East" surgit comme une bombe, il vrillait les neurones, faisait l'affaire en toutes circonstances. Plus de trente ans après, le meilleur des rituels tient toujours la route : attendre le soir, préparer des provisions, éteindre la lumière et mettre l'ampli à fond. C'est toujours aussi bon. A la nuance près qu'en 1971, on ignorait que la tragédie des Allman était au coin de la rue suivante. Raison supplémentaire et définitive pour tenir ces moments comme à jamais inaccessibles, immortels.