The Chrysalis years

The Ramones

par Fer Fre le 31/08/2003

Note: 8.0    

Les années Chrysalis ne furent pas les meilleures pour les Ramones. Après un début en fanfare, posant rien de moins que l'immuable trame de la musique punk ainsi que ses principaux atours vestimentaires, les Ramones sont devenus une sorte de cliché dont les années Chrysalis représentent le pathétique aboutissement. Cette opinion, partagée par le cerveau global des fans du groupe, reste certes vraie face aux premiers efforts du groupe sans pour autant résister au travail du temps. Car, pour peu que l'on change d'état d'esprit, que l'on oublie que les faux frères furent à l'origine d'une intemporelle musique, que l'on change en somme d'attitude, les trois cédés des fameuses années Chrysalis laissent entendre un groupe rock sérieux. Très sérieux. Bien entendu, le bât blesse précisément à cet endroit. Quelle tête d'épingle a envie d'aduler un groupe de rock sérieux ? Pour autant, les têtes d'épingles vieillissent au moins aussi vite que leurs modèles, lesquels ne peuvent décemment trouver satisfaction à toujours enregistrer le même disque. Aussi, les amateurs de pop nerveuse se délecteront à coup sûr de ce coffret, exhumant une collection de chansons pas piquées des hannetons.

Vérification dès "Brain drain", ouvrant le premier cédé. Réalisé en 1989, historique de part l'ultime présence de cet ultime bassiste qu'était Dee Dee Ramone, "Brain drain" est un opus séduisant tant par son approche mélodique façon Spector que par ses envolées engrenées, le Dee Dee léchant quelques belles balles. Bien que trop produit, souffrant d'une batterie claquante jusqu'à l'énervement, parfois muselé et limite consensuel, ce disque demeure une belle redécouverte, fixant pour l'éternité un groupe emporté par un mouvement qui, s'il n'est pas provoqué par une impulsion nouvelle, étonne par la belle ellipse de sa course. Et de nous pâmer une fois encore sur la voix de cette asperge de Joey, vrai crooner malheureux apportant le supplément d'âme à certaines compositions qui en sont bien démunies.
Des compositions, les Ramones en font superbement l'impasse sur "Acid eaters", leur disque de reprises paru en 1993. En cette décennie balbutiante, les quatre nous ramènent de pleins pieds dans les années 60, avec une série d'exhumations pas toujours top empruntées à Love, Rolling Stones, Dylan, Who, Beach Boys et les autres. En dépit de quelques envolées, voilà un disque limite inutile, plaisant mais aucunement bouleversant, créativement nul, coup de chapeau à réserver aux fans ultimes et autres curieux. Très écoutable quand même.

"Mondo bizarro" ouvre le deuxième cédé de manière fort percutante avec un "Censorshit" retrouvant les Ramones à un niveau où personne (ou plus grand monde) ne les attendait. Renforcé à la basse par CJ, clone de Dee Dee - lequel continue de signer des compositions même après sa démission - cet opus avait consacré, à l'époque, le grand retour du groupe. Détesté par une grande majorité des fans pour son approche putassière, ce disque bénéficie lui aussi du travail temporel, les saisons écoulées nous le rendant, avec l'éclatement des valeurs d'antan, fort précieux. Car il est indéniable que ce "Mondo bizarro" est farci de belles œuvres, se plaçant entre spleen intense et sursaut haineux, pot-pourri majestueux où se croisent moments d'amour et de rage. Débarrassé de cette encombrante étiquette punk, ayant oublié leurs ouvertures FM, college-radio ou hardcore, les Ramones s'avancent nature, grand groupe rock touché par la grâce pop. De l'impeccable reprise des Doors à ce "Touring" première époque en passant par un "Anxiety" décapant, voilà un disque réellement mature, dans le bon sens du terme.
Pourtant, le summum est atteint pour leur dernière livraison, portant le fort subtil mais très juste intitulé "Adios amigos". Là, les Ramones atteignent une sorte d'apogée, les treize pistes s'avérant aussi cruciales les unes que les autres. Que le groupe se souvienne avec brio de ses jeunes années ou qu'il confirme ses positions adultes, il vise toujours au plus juste et jamais ne paraît déplacé. Cet amalgame tient à la contribution de l'indéboulonnable Dee Dee, de son double parfait CJ, les parties tout en miel restant comme de coutume réservées à Joey, Marky, le batteur, se fendant lui de sa traditionnelle création. Cette montagne russe, desservie par une pochette hors propos, est une grande œuvre à laquelle le temps n'a, dans ce cas, rien ôté de sa pertinence originelle. "Adios amigos", éclair de 1995, clôture dans la joie, la violence et la peine une carrière amorcée en 1974. On n'aurait pu rêver d'autre sortie.

Le cédé trois continuera de partager les fans jusqu'à la fin du monde. En résumé, ce "Loco live", enregistré durant la tournée 1990, est-il grand live ou pure daube ? Il a en tout cas le mérite de saisir les Ramones vivants dans la seconde partie de leur carrière, les quatre engrenés balançant la quintessence de quinze ans de hits. Ce témoignage, fort éloquent et totalement brutal, ne résiste pourtant que peu à la comparaison de leur premier disque live, "It's alive", paru en 1978. La différence, subtile, oppose le sniper au panzer. Là où "It's alive" est une merveille d'adresse, atteignant ses cibles sans coup férir et avec terrassante maestria, "Loco live" écrase tout sur son passage, sans distinction aucune. Fin 70, Joey chantait réellement ses chansons et le reste de la troupe n'était pas, en ces années de punk déclinant, emporté vers une bonde de surenchère, tous à massacrer ces fracassants hits comme à la St Barthélémy. "Loco live" montre un groupe pas vraiment inspiré, pressé d'en finir, enchaînant méthodiquement mais sans passion chacun de ses morceaux, privilégiant la puissance au détriment de la finesse, de la subtilité et du second degré. Borborygmes, riffs acides, un CJ parodiant Dee Dee à la perfection, une batterie moissonneuse-batteuse et au final cette question : est-ce bien le même groupe ? Limite "Spinal tap" (un pirate de la même époque les voit jouer les mêmes chansons et Joey réciter les mêmes phrases en changeant le nom de la ville), ce concert fou est pourtant adulé par la frange dure des adorateurs des Ramones.