Nothing is easy : Live at the Isle of Wight 1970 (Cd)

Jethro Tull

par Francois Branchon le 28/11/2004

Note: 9.0    

En 1970, Jethro Tull vit à fond un début de carrière détonnant. Peu après le premier concert en 1968 au Festival de Sunbury - dont je garde le souvenir ébouriffé d'un Ian Anderson hirsute et en pardessus mité (en plein mois d'août), hystérique sur le blues rock chauffé à blanc de son groupe - le guitariste pétri de blues Mick Abrahams partait, remplacé par le plus pop Martin Barre. Les albums s'enchaînent, "This was" (68), "Stand up" (69), "Benefit" (70) et les États-Unis ouvrent leurs bras en grand. Les premières traces discographiques du Tull sur scène apparurent sur "Living in the past", très beau double album paru en 1972 pour résumer le début de carrière, une compilation truffée d'inédits et dont la face 3 offrait deux longs titres enregistrés au Carnegie Hall de New York en novembre 1970 : "By kind permission of" et surtout "Dharma for one" (de "This was") donnaient une idée jouissive de ce qu'était devenue la musique du groupe à sa maturité : thèmes folk ou classiques, rythmique fournie et élaborée, riffs de guitare acérés et la voix - mêlée à la flûte à la manière de Roland Kirk, idole d'Anderson - liant le tout. Sans oublier l'apport de John Evan, vieil ami des années lycée, et présent au piano.

Ce concert du Tull à l'île de Wight précède de quelques semaines ces titres du Carnegie Hall. Déjà "grand" groupe, il reste le dimanche une heure sur scène, juste avant Jimi Hendrix et après les Moody Blues, Donovan et Leonard Cohen. Le set s'ouvre avec un clin d'œil à Mick Abrahams, "My sunday feeling", premier morceau de l'album "This was" en 68. Foisonnant et rugissant. Le ton est donné. Le long "My God", future pièce de résistance de la face B de l'album "Aqualung" (1971) le suit : chant tendu, découpé par les riffs de Barre et solo de flûte/chant déchaîné d'Anderson. Jethro Tull dans sa splendeur. De "Benefit" qui vient d'être publié, il ne jouera que "With you there to help me" (et sa toujours magique construction en gimmick), une version épique terminée par les digressions du piano de John Evan, et "To cry you a song", puissante version toute entière entre les mains du guitariste Martin Barre. Décoiffant. Et bien que Glenn Cornick le choisisse pour un solo de basse distordu et bien swinguant, "Bourrée", le thème de Bach à la flûte qui fit la fortune de l'album "Stand up" vient calmer les esprits et donner le temps d'en rouler un autre. Car ce qui suit impose quelques munitions : "Dharma for one", précédant "Nothing is easy", est le clou du concert avant les rappels, affrontement permanent entre la guitare et le batteur Clive Bunker. Son solo réussit le tour de force de ne pas aujourd'hui sonner trop "daté", mais c'est surtout Martin Barre qui impressionne, maîtrisant la puissance au bout de son médiator et peaufinant un sens du riff qui allait faire merveille sur l'album suivant "Aqualung".

En 1970, Jethro Tull n'est pas encore empêtré dans ses divagations progressives, son hard rock baroque, ses albums-concepts jolis mais creux. C'est encore un groupe imaginatif, saignant et vif, à l'énergie blanche, qui prend une dimension supplémentaire sur scène, espace nourrissant s'il en est pour les musiciens de talent. Certes, ce concert n'est pas parfait, mais on n'attend pas d'un festival un son léché. Et quand il y a planterie, il y a de la vie ! C'était il y a trente-quatre ans, et Jethro Tull était bandant.