American IV : The man comes around

Johnny Cash

par Jean-Louis Schell le 01/02/2011

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Personal Jesus
Streets of Laredo
We'll meet again
The man comes around
Hurt


Johnny Cash est peut-être, voire même sûrement, un des derniers mythes américains vivants. Depuis qu’il a entamé sa collaboration avec Rick Rubin (le producteur surcôté qui peut se targuer d’avoir entre autres à son palmarès, Tom Petty & The Heartbreakers, Slayer et Red Hot Chilli Peppers), Johnny Cash a un parcours qui s’apparente au retour aux sources, voire au chemin expiatoire. Après avoir connu la dope, la mort, et tous les avatars qu’une vie sur la route peut réserver, à plus de 70 ans passés, Cash continue son chemin vers le dépouillement, loin des artifices. Lui qui, malade, ne donnera sans doute plus jamais de concert, se concentre sur ses disques. Et quels disques !

Depuis le "Cash" de 1995 le dépouillement est de mise, loin des artifices et oripeaux nashvilliens qui d’habitude griment ce genre d’artiste en fin de carrière. Il s’agit même au contraire depuis les parutions récentes d’un renouveau, d’une presque re-naissance. L’homme en noir, sans se soucier d'un quelconque fond de commerce et comme se rendant compte d'une fin prochaine, part à la recherche de la moelle de son art, un vrai chemin initiatique à rebours. L’album s’ouvre sur "The man comes around", rythmes hillbilly dénaturés d’accords d’un sépulcral piano, truffé de références bibliques, la voix plus que jamais au service de la chanson. Car c’est là le génie de Cash, ici à son apogée : il ne prend jamais pour un artiste, mais fait des chansons, et sa voix est là pour les servir, ni plus ni moins.

Ainsi la reprise de "Hurt" de Nine Inch Nails ou mieux encore, celle de "I hung my head" de Sting, car si la noirceur d’un Reznor peut se comparer à la sienne, celle du bellâtre de Toscane confère toute sa mesure à l'aura de Cash. Capable de s’approprier une chanson, de la faire définitivement sienne, de lui donner une dimension jusque là intangible. Bien sûr, on pourra toujours subodorer que Rubin lui a soufflé les reprises à faire. Et alors ? Le vrai talent est là : c'est lui qui chante, qui soupire, qui apporte la dimension inconnue. Évidemment, "I’m so lonesome I could cry" d’Hank Williams, en duo avec Nick Cave, pour imprévisible qu’il soit, sonne d’une rare logique. Il fallait qu’un jour, ces deux-là finissent par se rencontrer. Par contre "Bridge over troubled water", où Fiona Apple lui donne la réplique, en laissera sûrement plus d’un sur son séant, à commencer par son créateur. D’une noirceur totale, il nous est ici rappelé que rares sont les chansons bonnes et gaies à la fois. "In my life" des Beatles ou "Desperado" des Eagles subissent le même traitement, et soudain personne ne peut à nouveau se poser la question de l’écriture et de l’interprétation, Cash à son summum faisant sien des titres comme s'ils auraient toujours dû l’être, comme encore "Personal Jesus" de Depeche Mode, décidément à la mode ce mois-ci.

Sans aucun souci des convenances, Johnny Cash abandonne le domaine country, pour rejoindre un Leonard Cohen pétri d’americana, ou un Sinatra qui aurait su la limite du bien et du mal. Si d'ailleurs Friedrich Nietzsche n'avait pas piqué le titre, "The man comes around" aurait bien pu (dû) s’appeler "Au delà du bien et du mal".


(texte originellement publié le 20 janvier 2003)