Le noise

Neil Young

par Jérôme Florio le 14/12/2010

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
Peaceful Valley boulevard
Walk with me
Hitchhiker


Neil Young, décennie 2000 : un enchaînement de disques dont les concepts plus ou moins forts ("Greendale", "Living with war", "Fork in the road"...) tendaient à prendre le pas sur le reste. "Le noise", tout en affichant un parti pris qui l'éloigne de la classique collection de chansons du singer-songwriter, est plus excitant et tient beaucoup mieux la route.

"Le noise" : Neil Young seul sur le pont, comme un capitaine Achab aux prises avec une baleine électrique, avec Daniel Lanois pour copilote. Cette rencontre (qui ne date pas d'aujourd'hui) fait penser au titre du bouquin de James Lee Burke, "Dans la brume électrique", récemment adapté au cinéma par Bertrand Tavernier – un thriller qui se passe en Louisiane, territoire de Lanois... En guise de brume, l'écrin sonore concocté par le producteur. Tout en conservant l'enregistrement "live" qui est le mode d'expression favori de Neil Young, Daniel Lanois a mis en pratique sa théorie des "black dubs" : ce ne sont pas des overdubs (ajout a posteriori d'instruments) traditionnels, mais des bouts de performances (les prises "live") qui sont prélevés de leur contexte initial, retravaillés puis réinjectés dans la chanson – une sorte d'opération de clonage, mi-technologique mi-organique. Le concept est présent dans la matière sonore du disque.

Les trois premiers titres plongent l'auditeur dans un bain amniotique, sur lequel flotte la voix sans âge de Young. On retrouve ces riffs si caractéristiques ("Sign of love") des ruades avec Crazy Horse, mais ici Neil fait cavalier seul. On pourrait se situer à mi-chemin de l'ancrage terrien, physique, de "Mirrorball" (1995, avec Pearl Jam) et de la B.O.F. spectrale de "Dead man" (même année) : entre incarnation et évocation.
La guitare électrique est massive, mais rongée par l'électronique et des boucles de feedback, qui tirent vers le haut un "Angry world" un peu faiblard. "Le noise", c'est presque un "Metal machine music" (Lou Reed, 1975) version easy listening !
"Love and war" est la première respiration acoustique, chanson sensible sur le gâchis de vies bousillées par la guerre. La voix y est mise en avant, la guitare brillante, et quand Neil chante "daddy won't ever come home", on croirait vraiment entendre un enfant qui se sent abandonné. "Le noise", sous ses dehors hérissés, est un disque intime. Le Loner endosse un nouvel alias, celui du "Hitchhiker", pour nous détailler par le menu toutes les saloperies auxquelles il s'est rendu accro plus leurs effets secondaires. De l'eau a passé sous les ponts depuis "The needle and the damage done" ("Harvest", 1972), mais Young a l'air de plus en plus incrédule, un peu coupable (?) d'être encore parmi nous.
Le désordre causé par l'Homme blanc dans l'équilibre naturel est une autre thématique chère au Canadien – on se rappelle "Pocahontas", "Cortez the killer", "Natural beauty"... la ruée vers l'or contée dans "Peaceful Valley boulevard" a certainement été une calamité, mais la chanson est une véritable pépite - bien que l'on ne se reconnaisse ni dans cette attente (peu convaincue) d'un homme providentiel ni dans ce glissement de la glorification de la Nature vers celui de Dieu.

"Rumblin'" est une fin un peu déliquescente, tous phares éteints... Neil Young vient peut-être de conclure un nouveau cycle.




NEIL YOUNG Hitchhiker (Clip 2010)



NEIL YOUNG Peaceful Valley boulevard (Clip 2010)