Bum raps and love taps

Elysian Fields

par Jérôme Florio le 18/11/2005

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Out to sea
Bum raps and love taps
We're in love


Récemment, Elysian Fields fêtaient leur dixième anniversaire dans un club de New York : dix ans passés à explorer des territoires aux frontières floues, poreuses, entre rock arty et romantisme suranné. Après le quelque peu décevant "Dreams that breathe your name" (2003), trop linéaire, "Bum raps and love taps", leur quatrième album, approfondit et radicalise les envies de Jennifer Charles et Oren Bloedow.

Le couple - à la scène comme à la ville jusqu'à une date récente - s'est rencontré dans le cadre très "hip" de la Knitting Factory, un club prisé par l'underground intellectuel new-yorkais : autour d'eux gravite ce que la grosse pomme compte de pointures dans les milieux rock et jazz – Marc Ribot et John Lurie (Oren Bloedow, excellent guitariste, a fait partie de ses Lounge Lizards) jouaient sur le premier EP du groupe en 1995.
Charles et Bloedow se sont soudés autour de passions communes pour la poésie, le jazz (Gershwin), le rock (T-Rex)... L'univers, classieux et lettré, qu'ils développent avec Elysian Fields est éloigné de l'ordinaire des "groupes de rock". Genre de Betty Boop à la voix grave et aux mouvements lents, Jennifer Charles en est le centre : ses textes imagés et érotiques regardent aussi bien vers Poe (qu'ils ont mis en musique sur "Queen of the meadow") que Tennessee Williams (les "Champs-Elysées" sont ceux d'"Un tramway nommé désir") ou Jean Genet, avec quelques canailleries d'entraîneuse rock and roll. Pas un rock de gouttière et bas du front, plutôt celui d'une alcôve tendue de soie et de satin, qui se prêterait à la luxure et aux plus secrètes confidences.

Pas facile à vendre tout ça ! Trop compliqué pour les cadres de Universal, qui refuseront en 1998 de sortir leur deuxième LP (produit par Steve Albini). "Bum raps and love taps" n'est pour l'instant pas distribué aux USA : c'est en Europe qu'ils rencontrent leur plus large public, et particulièrement en France – comme pour Jeff Buckley qu'ils connaissaient bien, on ressent une petite pointe de fierté à savoir faire bon accueil à quelques artistes qui trouvent ici un auditoire réceptif.

"Bum raps and love taps" est un disque très dense et construit, qui oblige à le prendre dans sa globalité : il laissera sur leurs positions ceux qui trouvent la musique d'Elysian Fields neurasthénique et ceux qui aiment s'y vautrer impunément. Passés les classiques "Lions in the storm" et le riff blues crasseux de "Set the grass on fire" en guise de préliminaires, on navigue à vue dans des titres parfois longs (de cinq à huit minutes), privés de structures couplet-refrain clairement identifiables. Ils tissent leur toile sinueuse, agités de spasmes électriques qui font monter la pression – mais jamais jusqu'au climax, une sorte d'école de la frustration... Une attaque en règle sur les sens de l'auditeur, pour lui faire perdre ses automatismes (les quatre minutes instrumentales en intro de "Duels with cudgels") et le mettre en condition. Rien ne semble en mesure de souiller ni atteindre Jennifer Charles, d'une sensualité constamment à fleur de peau : elle semble flotter au-dessus des griffures de guitare de "Sharpening skills", sa voix guide au travers du labyrinthe tortueux et des invocations de "Lame lady of the highways" - pour nous sauver ? ou pour nous perdre, comme les sirènes ? L'indécision cesse quand le piano de Thomas Bartlett prend les devants sur la deuxième partie du disque et fait taire les dissonances : le parfum de la belladonne fait place à des fleurs fanées. "Bum raps and love taps" et "When" sont des chansons d'un romantisme hors norme aujourd'hui, sobrement habillées de piano, cordes et guitare. "Out to sea", alangui et rêche, précipite à nouveau dans un état de demi-sommeil inquiet avant que "We're in love", miracle fragile capté guitare-voix, ne boucle le tout dans un souffle.

"Silencio !"


ELYSIAN FIELDS We're in love (Live Concert Blogothèque)