Box set (1965-1970)

The Doors

par Francois Branchon le 01/12/1997

Note: 8.0    

Pour fêter les trente ans du groupe, Elektra se fend d'un coffret de 4 Cd retraçant l'histoire des Doors. Retour en 1967 : Entre la pop anglaise, polarisée par un face à face Beatles-Stones à peine troublé par les Kinks et le rock californien de San Francisco (Jefferson Airplane, Grateful Dead, Quicksilver...) va apparaître un Ovni curieux qui ne se réclame d'aucun mouvement et ne rappelle rien d'entendu jusque là : les Doors.

Ils sont de Los Angeles ( dont on connaît alors un peu les Byrds et Love ), ne participent pas aux grandes messes de Monterey (1967) ou du Golden Gate Park de San Francisco. Ils ne "montent" d'ailleurs que rarement dans la love-city du nord de la Californie : durant les cinq années de vie du Fillmore West , ils n'arpenteront que 16 fois la scène du temple local. Une misère comparée aux 75 prestations du Grateful Dead ou aux 85 du Jefferson Airplane sur les mêmes planches ! Non, les Doors semblent venus d'ailleurs, comme d'ailleurs l'encore inconnu d'alors Tim Buckley, issu de la même ville et lui aussi découvert par les mêmes Jac Holzman et Paul A. Rothchild, les deux sorciers responsables du "son Doors".

La musique des Doors n'est pas directement du blues comme les Stones, n'est pas assise sur le classicisme à l'instar des Beatles, n'est pas dominée par le délire instrumental (San Francisco en général), mais faite de petites chansons avec chacune son univers particulier, conçues comme des miniatures et semblant le fruit d'une alchimie ou d'une magie aérienne entre la voix et les musiciens. On exclura volontiers les trop souvent cités en exemple "The end" et "When the music's over", longues pièces à la longue emmerdantes et en tout cas réductrices. Ce coffret apporte une preuve définitive et tangible de l'influence déterminante des deux producteurs. Et sur ce point, la comparaison avec Tim Buckley n'est pas fortuite : il est notable qu'aujourd'hui en 1997, le son et la production de cette époque ont bien mal vieilli. Sauf curieusement Buckley et les Doors ! Ils sont l'œuvre commune des deux sorciers d'Elektra, auquel il convient d'ajouter le nom de l'ingénieur du son maison Bruce Botnik. Hasard ?
On réalise le changement en entendant ici - pour la première fois - les démos des Doors de 1965, avant que Jac Holzman et Paul A. Rothchild ne les prennent en main. Qu'entend-on ? grosso modo, une version californienne des Troggs anglais. Saisissant ! Beaucoup de charme, mais totalement différent. Un groupe qui sonne garage, comme la Californie en comptait tant.

Jim Morrison et le pianiste-organiste Ray Manzarek en sont les deux seuls membres définitifs. Autour d'eux les deux frères de Manzarek à l'harmonica et à la guitare. Ces bandes voient le jour pour la première fois : elles ne figuraient sur aucun des nombreux disques pirates (environ 150) consacrés aux Doors depuis 1967. On trouve à la suite les démos de 1966 : Holzman et Rothchild sont aux manettes, John Densmore et Robbie Krieger sont arrivés pour tenir les baguettes et la guitare, et miracle : TOUT est déjà là ! Le son, les arabesques de Krieger, le style des chansons-miniatures. Comme le commente Manzarek dans le livret : c'est à SIX que la magie s'est manifestée ! Tous y ont pris leur part. Preuve sans appel : l’enchaînement des deux versions de 65 et de 66 de "Moonlight drive" sur le premier Cd !

Paul A. Rothchild, producteur emblématique du label Elektra, depuis décédé, a supervisé la réalisation de ce coffret, c'est sa dernière œuvre. Sa carrière fut étroitement liée à celle des Doors, mais il commença à New York pendant la grande période du Café Wha (où démarra Dylan) en produisant dès 1963 Tom Rush, Fred Neil et Phil Ochs. Il est ensuite de toutes les découvertes de sa firme Elektra : Tim Buckley dès 1966, Le Paul Butterfield Blues Band, Love (avec l'album "Da capo" en 1967), le groupe du futur batteur de Steve Stills, Dallas Taylor et de Douglas Lubahn, le bassiste occasionnel des Doors en studio : les méconnus Clearlight. Il produisit également Janis Joplin ("Pearl"), Elliott Murphy ("Lost Generation"), les Everly Brothers ("Stories we could tell"), Chris Etheridge ("L.A. gateway"), John B. Sebastian, Bonnie Raitt, les Outlaws et même l'album "The rose" de Bette Midler ! La Doors box lui est naturellement dédiée.

En détail , le descriptif de ces 4 Cd morceau par morceau .

Cd 1
"Without a safety net" : démos inédites de 1965 et 1966 + titres live + chutes studio.

"Five to one" (live 1969), enregistré lors du fameux concert de Miami qui valut la tôle à Morrison. Le son est naze, les paroles dérivent, pleines de "fuck" et de "piece of shit". Le symbole est un peu lourd d'ouvrir le coffret par cette séquence. Morrison vaut quand même mieux !

"Queen of the highway" : chute de "Morrison hotel" (1969), plus rapide que la version définitive. Manzarek se prend pour Bill Evans, Densmore est aux balais et Harvey Brooks fait une première apparition à la basse. Une ambiance cocktail lounge des plus intimes et raffinées.

"Hyacinth house" (démo 1969), magnifique version enregistrée chez Robbie Krieger, l'année précédant la version définitive sur "LA woman". Une guitare acoustique et des tablas comme seuls instruments. Morrison y trouve une place très en avant, qui lui permet d'accentuer encore la tristesse des paroles.
"My eyes have seen you" (démo 1965), la version définitive sur l'album "Strange days" sera un grand coup de gueule plein d'énergie tendue. C'est ici avant l'arrivée de Krieger, les Doors sonnent comme des Troggs en version colorée californienne !

"Who scared you" (chute de "The soft parade" 1969), longtemps inédite en album, "Who Scared You" (Husker Du?) sort en 1969 en France et en Angleterre seulement, en face B du single "Wishful sinful". Les américains devront attendre le double LP compilation "Weird scenes inside the gold mine" en 1971 pour pouvoir l'entendre. A se demander pourquoi le titre fut écarté ? Il aurait avantageusement remplacé certaines plages du moins bon album des Doors.

"Black train song" (inédit live 1970), une jam de scène démarrant sur le thème et les paroles de "Mystery train", comptant la marche d'un convoi funéraire. Le lyrisme de Morrison a vite fait de l'expédier "away to India". Superbe morceau, que les Doors jouaient fréquemment sur scène mais qu'ils n'enregistrèrent jamais en studio.

"End of the night" (demo 1965). La version 65 (première mouture du groupe) d'un de leurs plus beaux morceaux, le plus emphatique de leur premier album.

"Whiskey, mystic and men" (inédit studio 1970), LA chanson de marin des Doors, à laquelle Jim Morrison tenait particulièrement, comme descendant de marins illustres ! Ambiance taverne du 19ème siècle avec mellotron, marxophone, jug, mandoline, bottle-neck et même un individu non identifié soufflant dans le goulot d'une jarre de whisky !

"I will never be untrue" (inédit live 1970), à l'origine une improvisation de 1968 à l'occasion de la campagne de Norman Mailer pour la mairie de New York.

"Moonlight drive" (démo 1965) et "Moonlight drive" (Démo 1966), ou la démonstration annoncée du rôle de Jac Holzman et Paul A. Rothchild.

"Rock is dead" (inédit studio 1969), une improvisation en studio après un repas fort arrosé. Dans la tradition des longues suites, polluée ici par l'ébriété et la lourdeur apparente du menu (un cassoulet ?). Un titre à oublier.

"Albinoni's adagio in g minor" (inédit studio 1968), un des morceaux classiques qu'aimait Morrison, ici mixé par Bruce Botnik avec un over dub, "La cienega symphony strings".

Cd 2
"Live in New York" : concert du Madison Square Garden de 1970.
Un disque de très grande tenue. Après quatre années de concerts quasiment non-stop, le groupe est sacrément rôdé et le son de scène est absolument parfait. Le track listing comprend une majorité de titres issue de "Morrison Hotel", plus "Gloria", la reprise de "Money", l'inévitable "The end" ainsi qu'un medley plutôt salace autour de "Build me a woman" (les flics paraît-il, se réservaient pour Miami !)

Cd 3
"The future ain't what it used to be" : trois démos de 65 et des extraits de concerts de 1970.

"Break on through", morceau d'ouverture du premier album ici à l'Ile de Wight, impeccable.

"Rock me" reprise de Muddy Waters et "Money" de John Lee Hooker, tous deux au PNE Coliseum de Vancouver.

"Someday soon" est un superbe inédit, dans la veine de "Morrison hotel", né au tout début des Doors et peaufiné tout au long des années. Un "Work in progress" en quelque sorte, jamais abouti. Même à ce stade de développement, il aurait largement mérité sa présence sur un album officiel.

"Go insane" est ici une ébauche de 1965. Il deviendra, comme "Not to touch the earth", l'un des thèmes de la longue suite "Celebration of the lizard".

"Mental floss" est de ces délires de scène qui ont fait la réputation de Morrison, mais qui reste anecdotique.
"Summer's almost gone", le titre le plus poignant et mélancolique de l'album "Waiting for the sun", ici dans sa première mouture, plus légère, de même que "Hello i love you" (au fait, est-ce pompé oui ou non sur "All day and all of the night" des Kinks ?...)

"The crystal ship" et "I can't see your face in my mind", deux titres issus du concert du Matrix de San Francisco en 1967, qui fit l'objet d'un vinyle pirate mythique, à pochette Guy Pellaert. Le son y est franchement pourri, mais le moment est historique.

Trois titres beaucoup plus élaborés terminent ce volume : "The soft parade" pour une télé new yorkaise en 1970, "Tightrope ride", titre studio publié sur "Other voices" après la mort de Morrison et l'ébauche de "Orange County suite" écrite par Morrison pour sa fiancée Pamela. Le morceau sera "terminé" par les trois autres pour l'album "An american prayer".

Cd 4
"Band favorites" : la partie "best of" du coffret, avec chacun des cinq titres préférés de Ray Manzarek, John Densmore et Robbie Krieger.

En conclusion, un coffret du plus grand intérêt pour les amoureux du groupe, qui n'en finissaient plus d'être impatients d'entendre leurs débuts. Les extraits live, pour la plupart de 1970, bénéficient d'une très bonne prise de son et mettent en avant les aptitudes du groupe à créer des atmosphères très différentes des originaux en studio.
Pour l'anecdote, il est dommage que ne sortent pas remixées, les bandes du concert du 21 août 1968 à la Roundhouse de Londres. Cette nuit-là, les Doors et le Jefferson Airplane se partagèrent la scène en alternance pendant plus de 10 heures (!!) et Morrison lançait "We have fun, the kids have fun, the cops have fun, it's a weird triangle"... Des extraits existent sur le bootleg d'anthologie "The lizard king" : à quand une édition officielle, à la manière d'un Zappa ou d'un Grateful Dead ?

Et enfin, un peu de tristesse à voir tomber un bout de magie : les morceaux des Doors étaient depuis toujours estampillés "written by the Doors", affirmation de l'unicité et de la fusion créative du groupe. Aujourd'hui, il semblerait que Robbie Krieger ait décidé de tirer la couverture et de revendiquer bon nombre de titres, dont "Light my fire". Un peu mesquin et conception étrangement marchande de l'hommage !