Antépénultième prestation des Doors sur
scène, le concert de Isle of Wight en août 1970 est bizarre, par
son contexte, sa configuration et son contenu.
Depuis mars de
l'année précédente et leur passage mouvementé à Miami, les Doors
sont sous surveillance, l'inculpation d'attentat à la pudeur est
tombée, Morrison est de marbre. Sur la scène de l'ile de
Wight (UK), pour le dernier des grands festivals de l'histoire (six
jours de programmation, plus de cinquante groupes dont Hendrix,
Hawkwind, Melanie, Procol Harum, Pink Fairies, Chicago, Cactus, Joan
Baez, Free, Moody Blues, Tiny Tim, Pentangle, Who, Miles Davis, Shawn
Phillips, Ten Years After, Leonard Cohen...), les Doors montent sur
scène le samedi soir à 2h du matin. Morrison impose une lumière
unique de pénombre rougeâtre sous laquelle, quatrième pion d'un
losange, il est figé derrière le micro devant les trois autres, les
yeux clos. Il n'en changera pas.
En août 70, cinq albums
des Doors sont déjà sortis, et étrangement, le répertoire de ce
soir-là ignore les plus récents : aucun titre de "Waiting for
the sun" (Juillet 68) ni de "The soft parade" (juillet
69). Quant à leur album du moment, le magnifique et fulgurant
"Morrison Hotel" (Février 70), ils n'en extraient que deux
titres : "Roadhouse blues" en ouverture du set et "Ship
of fools", alors qu'on aurait pu attendre avec délice les
versions scéniques de "Maggie McGill", "Peace frog",
"Land ho!" ou des suaves "The spy" ou "Indian
summer"... Raté ! En lieu et place, Morrison comme blasé,
fatigué, ailleurs, puise dans ses classiques : "Back door man",
"Break on through", "Light my fire", "When
the music's over" et une simili "Celebration of the lizard"
avec le medley "Across the sea/Away in India/Crossroad
people" intégrée à "The end".
Les morceaux
sont interprétés avec énergie mais sans violence, parfois dans une douceur presque
spirituelle, avec quelques digressions mais minimales ("Roadhouse blues"), par un Morrison statufié derrière sa barbe, là
sans être là, laissant par ricochet une place plus grande aux trois
autres (très au point en 70), plus libres dans leurs solos. On
le sait aujourd'hui, après Isle of Wight les Doors ne se produiront
plus que deux fois sur scène, le 11 décembre au State Fair de
Dallas et le 12 à la Warehouse de La Nouvelle Orleans. Puis Morrison
partira pour une autre histoire. Mais nulle nécessité de se
laisser emporter par la nostalgie pour apprécier cette nuit d'août
70 en Angleterre, où des Doors inhabituels (on est loin des concerts
de Londres de 68 !) y sont précis et brillants, contrôlant
l'énergie avec maestria dans une nuit de fin du monde.
THE DOORS Roadhouse blues (1970 Live at Isle of Wight Festival)